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[Journal de guerre de Louis Durand- 1914-1918]

Description

Titre

[Journal de guerre de Louis Durand- 1914-1918]

Auteur

Durand, Louis Marie Joseph Paul. 1891-1976. Artilleur.

Contributeur

Bernard, Luc. Transcripteur.

Date

1914-1918

Format

145 pages.

Notes

[Transcription intégrale du journal]

J’étais alors en garnison à Epinal commençant à compter les quelques jours qui me séparaient de la libération impatiemment attendue pendant deux ans.

- 1914 -
Juillet à décembre
Le 24 juillet 1914, les premiers bruits de guerre circulent déjà en ville. On les écoute mais avec une arrière-pensée qui nous fait dire tout bas « Tout n’est pas perdu encore ils s’arrangeront comme la dernière fois ».
Le 27 et le 28, les bruits ne font que s’accroître et les journaux de Paris sont attendus avec impatience.
Dans la nuit du 29 au 30, les sonneries se succèdent sans interruption et on sent qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire. A trois heures du matin branle-bas dans la caserne. Tout le monde se lève et va voir aux fenêtres.
Les bruits les plus fantaisistes circulent chacun apportant son petit renseignement.
La vérité est que la 3ème Batterie mobilise et doit être prête à partir à huit heures occuper les forts de la Haute Moselle.

Août 1914
Dans la matinée les régiments d’Infanterie, d’Artillerie de campagne et de Cavalerie partent musique en tête pour aller occuper leurs postes de combat à la frontière. Nous-mêmes nous recevons l’ordre d’application de protection à 9h30 du matin. Le soir même toutes les batteries occupaient leurs forts respectifs.
Je fais partie du groupe de mobilisation.
Mon rôle consiste à diriger les réservistes et les territoriaux sur les forts qui doivent les équiper. Leur nombre grossit d’heure en heure et bientôt la cour de la caserne regorge de soldats qui crient, qui s’impatientent, qui réclament à manger.
Le 4 août ils étaient 8 000, le 5 ils sont 12 000. Comment nourrir autant de monde? Les uns ont recours à la cantine, les autres sortent en ville. Enfin tous se débrouillent et personne ne meurt d’inanition loin de là.
A chaque instant se sont des trains qui passent, bondés de jeunes gens qui chantent la Marseillaise et qui crient « à bas Guillaume, à Berlin à Berlin ».
Quel enthousiasme à ce début de guerre !
Dans deux ou trois mois disions-nous tout sera fini ; avec les armements actuels il est impossible que la guerre puisse se prolonger plus longtemps. Pendant ces quelques jours, je retrouve plusieurs anciens du régiment entre autres le fils Saget de Mesves (sur Loire) mobilisé à la 21ème Batterie.
Le 4, nous apprenons à la caserne la nouvelle de la déclaration de guerre et dès ce moment les bruits les plus fantaisistes circulent. On signale déjà quelques engagements entre les chasseurs et les Boches engagements à la baïonnette où les Allemands ont laissé de nombreux morts et blessés.
Puis c’est une avance foudroyante de nos troupes en Alsace.
Les Allemands se replient précipitamment sans combattre. Avant deux jours nous serons au Rhin. Les artilleurs à pied partiront aussitôt pour faire le siège de Metz et Strasbourg au cas où ces deux places fortes résisteraient encore.
Tels sont les bruits qui circulent en ville, naturellement toutes les oreilles sont ouvertes pour les entendre et pour les croire.
Le 6 retour vers la réalité.
Je quitte la caserne Schneider et regagne sac au dos le fort de Razimont ; la distance est heureusement courte car le sac pèse lourd.
Rimbault est avec moi, nous arrivons au fort vers 10h du matin et nous y mangeons le traditionnel singe (corned-beef) additionné d’un peu de potage concentré, puis à 1 heure nous repartons toujours sac au dos pour aller à la ferme Ste Barbe.
Là je quitte Rimbault envoyé au fort de La Mouche et le même soir je prends la garde à la Batterie M4 avec Maimbourg d’Aubigny. Notre chambre à coucher n’est pas plus confortable ; un abri humide avec quatre branches de sapin comme matelas. Après avoir répété les consignes aux sentinelles je me couche mais impossible de dormir tellement il fait froid ; nous sortons tous les uns après les autres pour faire un peu de pas gymnastique au clair de lune. Le soleil est impatiemment attendu et nous sommes tous dehors pour en recevoir les premiers rayons. A midi relève de la garde et dislocation des pelotons de pièce formés la veille. Mainbourg me quitte pour aller à une section voisine à Pré-Serpent.
Dès le lendemain je suis chargé de l’instruction des territoriaux quelle corvée ! La plupart ont 19 ou 20 ans plus que moi et je suis considéré comme le petit bleu qui veut donner des conseils à ses parents. Enfin tout s’arrange ils sont assez dociles et m’écoutent sans faire trop de bruit ; mais parmi eux se trouvent déjà des malades que je conduis au Conseil de Réforme à Epinal. C’est une occasion pour moi de revoir quelques camarades laissés à la caserne.
Dans la soirée du 8 le premier aéroplane allemand vient survoler la Place et la ligne des forts. Il est pris à partie par les batteries contre-avion mais elles ne lui font aucun mal.
Le 9 je continue mon instruction et m’occupe des constructions des batteries.
Le 10 un aéroplane allemand vient encore nous survoler ; les batteries le tirent sans l’atteindre.
Le 11 vers cinq heures du matin pour la première fois nous entendons une forte canonnade dans la direction de St Dié ; plus tard elle s’étend au nord semblant remonter Nancy.
Le 12 une corvée de bois m’ayant amené à La Mouche j’y retrouve Rimbault toujours dans ses fonctions de cuisinier.
La correspondance est complètement arrêtée et le 15 je reçois un télégramme de ma tante me demandant de mes nouvelles ; je réponds aussitôt mais je crains bien que ma lettre ne lui parvienne pas.
Le 16 il me faut reprendre la garde et comme la première fois dans de très mauvaises conditions. Je suis avec trois hommes au milieu d’un bois sans abri, pas même une mauvaise cabane ; pourtant il faut se débrouiller la pluie commence à tomber et nous sommes là pour 24 heures ; nous partons dans toutes les directions et un instant après deux d’entre nous revenaient chacun avec une tôle ; nous plaçons ces 2 tôles sur des piquets et voilà le toit de notre maison avec des branches de sapin nous faisons les murs et quelques genêts nous serviront de matelas. Malheureusement la maison n’est pas assez longue pour se coucher et les pieds passent la nuit dehors sous la pluie qui tombe à plein temps. Le lendemain je conduis à Schneider des hommes versés à la 40è Batterie de dépôt et je vois au bureau du Casernement ma nomination au grade de Mal des Logis (en date du 17 Août).
Le 22 je quitte Ste Barbe pour Pré-Serpent pendant toute la journée la canonnade se maintient très forte dans la direction de Lunéville.
Le 25 à cinq heures du matin nous sommes réveillés par une canonnade terrible. Nous nous levons nous demandant « Que se passe-t-il ? ». A 7 heures, un ordre arrive « Tout le monde à son poste…Préparez-vous. Les Allemands avancent dans la Trouée de Nancy il est probable que les Batteries seront appelées à tirer aujourd’hui. Chacun fait diligence pour rejoindre au plus tôt son poste de combat. J’ai le commandement de deux pièces de 90 destinées à battre le ravin d’Uzéfaing J’occupe une position de crête et je tirerai à vue dans le fond du ravin situé à 1800 mètres de là. Il est certain que je serai muselé aux premiers coups tirés. Enfin tous mes hommes sont joyeux et pleins de confiance. S’ils passent là disent-ils « on va leur laisser toucher quelque chose » et tous rient et s’amusent à cette pensée. Cependant la canonnade continue à faire rage et semble même se rapprocher ; nous écoutons tous si quelque fort de la plage ne tire pas déjà ; mais rien encore. A 11 heures le tire cesse brusquement ; c’est maintenant le calme plat. Que se passe-t-il ? Vers 2heures les premières nouvelles commencent à circuler. Les Allemands se sont avancés parait-il jusqu’à la Moselle mais leur armée attaquée sur les flancs a été coupée en deux et se trouve maintenant en pleine retraite. La nouvelle était à peu près exacte les Allemands avaient reçu là une bonne raclée et se repliaient précipitamment jusqu’à la frontière abandonnant Lunéville qu’ils avaient pris la veille.
Le 28 j’étais à côté de mes pièces avec mes hommes et le lieutenant qui venait chaque jour faire une visite de secteur était justement avec nous. La sonnerie du téléphone retentit et le téléphoniste reçoit le message suivant : « L’ennemi s’avance vers la ferme d’Uzéfaing préparez-vous à ouvrir le feu ». Le lieutenant commence à s’affoler et crie à tous mes hommes : « à ton poste à vos postes les Allemands sont là chargez les pièces ». Au même instant, seconde sonnerie du téléphone second message ainsi conçu: « l’ennemi occupe la ferme d’Uzéfaing ouvrez le feu immédiatement ». Le lieutenant complètement affolé donne l’ordre de tirer. Je lui fais remarquer qu’il serait peut-être bon de s’informer étant donné que nous n’avons pas entendu un coup de canon ni un coup de fusil : « Tirez tirez c’est un ordre ». Heureusement à cet instant même le capitaine arrivait et le lieutenant se précipite vers lui pour savoir ce qu’il devait faire. «Informez-vous » lui répondit le capitaine. C’est alors que le fort de La Mouche répondit : « nous avions oublié de vous dire que c’était un exercice ». Si le capitaine était arrivé quelques secondes plus tard le lieutenant qui avait complètement perdu son sang-froid faisait tirer sur la ferme occupée par une compagnie du 11ème génie. Les jours suivants se passent dans le calme. Tout juste un déménagement ; nous nous installons sous la tente tout près de nos pièces. Devant nous le canon se fait toujours entendre mais avec moins de violence.



Septembre 1914
Le 12 septembre je passe à la 24ème Batterie à laquelle je suis affecté depuis au moins quinze jours. J’y suis reçu par le capitaine Paquatte qui me donne le commandement de la Batterie G1 composée de 2 pièces de 95 sur affut omnibus. Je passe une journée et deux nuits au Point Triple et de là je me rends à la ferme de Bois l’Abbé.
J’y retrouve les sous-officiers affectés aux différentes batteries du secteur. Nous couchons tous sur la paille dans une salle de bal. Les privilégiés sont installés sous l’estrade des musiciens qui forme alcôve. Il y a même dans un coin un piano mécanique que nous remontons les jours de pluie et les fanatiques de la danse font même leur petit tour de valse.
Le 22 septembre grosse nouvelle ; 22 hommes et 3 sous-officiers sont désignés pour partir compléter une batterie en formation à Epinal. Je suis du nombre mais malheureusement à la revue passée par le capitaine je suis remplacé par un autre sous-officier parce qu’incomplètement habillé et équipé. Rien à faire, il faut s’incliner ; notre capitaine n’aime pas que ses ordres soient discutés.
Le 28 je couche dans un lit à Uxegney ; c’est la première fois depuis la mobilisation ; j’y dors du reste fort mal, le manque d’habitude sans doute.

Octobre 1914
1ère bataille de l’Artois (d’Arras) - 1er octobre au 26 octobre 1914

Le 1er octobre le colonel commandant le régiment casse 44 sous-officiers déclarés incapables; ce qui à mon avis représente une grave injustice étant donné que la plupart d’entre eux sont d’anciens cavaliers ou d’anciens artilleurs de campagne n’ayant jamais vu un canon lourd. Je reste seul à la Batterie G1. Le Maréchal des Logis qui m’avait été adjoint est lui-même cassé et versé dans une autre Batterie comme 2ème canonnier.
Le 8 octobre la Batterie constituée à effectif de guerre c’est-à-dire 315 hommes quittent Epinal à 9h15 du soir. Nous passons à Jussey – Culmont Chalindrey - Langres – Chaumont - Troyes – Paris – Creil – Amiens – Abbeville – Etaples.
Nous sommes très bien reçus à Bar-s-Aube et à Nogent-s-Marne ainsi qu’à Berck où l’on nous distribue des fruits, des tartines beurrées, des cigarettes… Les femmes sont nombreuses tout le long du parcours pour voir ce défilé ininterrompu de trains de troupe remontant vers le nord. Les mouchoirs s’agitent et on nous souhaite bonne chance. Les trains se suivent à quelques centaines de mètres et on en compte jusqu’à trois entre deux stations. Où allons-nous ? Telle est la question posée par tous. Les bruits les plus divers circulent. Pour les uns c’est Calais pour les autres c’est Dunkerque.
Pendant ce temps, le train roule toujours avec une sage lenteur et notre troisième nuit de chemin de fer commence. Tout le monde somnole déjà certains même ronflent quand vers 11 heures du soir nous entendons un officier crier : « Tout le monde en bas nous débarquons ici ». Où sommes-nous ? Nous interrogeons un employé qui nous répond : « St Pol » (St Pol-s-Ternoise).
Nous descendons et la batterie tout entière est bientôt alignée dans la cour de la gare. « A droite par quatre en avant marche ». Et nous voilà dans la rue de la ville endormie à la suite du capitaine qui cherche à reconnaître sa route à la lueur d’une bougie que lui tient un cycliste.
Maintenant la ville est dépassée et nous marchons sur une route bordée d’arbres. Deux kilomètres à peine puis nous arrivons dans le petit village de Gauchin,
il est 1 heure du matin et le cantonnement n’est pas encore terminé, il nous faut attendre pendant une demi-heure sur le bord de la route, puis chacun se case où il peut dans les granges à claire-voie qui forment la plus grande partie du village.
Tout le monde souffre du froid et dort mal. Dès 5 heures nous sommes réveillés pour retourner à St Pol décharger les mortiers de 220 qui nous sont affectés.
La manœuvre de force s’effectue sans incident et à midi nous sommes de retour à notre cantonnement.
Le 12 un aéro allemand lance une bombe sur St Pol blessant une femme et une fillette.
Le 13 LA Batterie à effectif trop considérable pour une batterie lourde est divisée en deux ; je suis versé à la batterie Paquatte lieutenant Buisson. A 1h30 de l’après-midi départ pour Cambligneul, nous arrivons au-delà de ce village à 9h du soir après une marche forcée de 27 kilomètres. Depuis plus de deux heures déjà nous commençons à entendre assez distinctement les départs de nos canons, plus tard les lueurs se succèdent sans interruption et l’horizon est embrasé par deux incendies considérables, l’un en avant et à droite de nous l’autre dans la direction d’Arras. Je fus légèrement émotionné mais cela ne dura pas. Nous arrivons enfin dans une ferme ; je prends les deux écuries qui étaient destinées aux hommes de ma pièce et je me couche sans manger tellement je suis fatigué.
Le 14 nous construisons des plates-formes pour 2 pièces de 220, ce sera notre première position de Batterie, nous sommes sous quelques peupliers dans une petite cuvette au bord d’un chemin creux qui se dirige vers Notre Dame de Lorette. Les premières lignes allemandes sont parait-il à 1800 mètres d’ici ; quatre obus éclatent à 300 mètres de nous ce sont les premiers.
Le 15 à 10 heures du matin nous sommes prêts à tirer. Le tir commence à 1 heure. 60 coups sont envoyés sur Ablain-St-Nazaire; le village est organisé et forme pour les Allemands un centre de résistance dont nous voudrions les déloger ; malheureusement nos obus éclatent mal et ne donnent pas de résultats bien appréciables.
Le soir je reste aux pièces avec mes hommes et je couche dehors sur le bord du chemin ; vers 8 heures une violente fusillade se déclenche devant nous ; tout le monde est debout prêt à toute éventualité. Chacun a son mousqueton à portée de la main. Vers 11 heures tout rentre dans le calme mais ce ne sera pas pour longtemps ; à 2 heures la fusillade reprend avec peut-être plus d’intensité encore et ne cesse qu’aux premières lueurs du jour.
Le 16 – Ce matin le brouillard est très épais c’est le repos pour les artilleurs. Nous en profitons pour construire quelques abris en paille adossés au talus du chemin creux. Je reste toujours sur la position. Le ravitaillement se fait très mal, nous avons faim et rien à acheter ; nous en sommes réduits à manger du blé ; ces restrictions durent plusieurs jours et nous arrachons les choux-raves pour faire la soupe. La viande est très mauvaise et la ration de pain très réduite.
Le 17 nous tirons à nouveau quelques coups mais cette fois le résultat est meilleur. Pendant leurs instants de loisir nos hommes chassent le lapin avec leurs mousquetons ; ils en tuent quelques-uns ; Brondeau d’Aubigny est parmi les plus enragés chasseurs.
Le 20 le capitaine Paquatte me fait appeler et m’envoie pour observer le tir à une meule de paille placée sur une crête dominant le village d’Ablain-St-Nazaire occupé par les Allemands. Je pars vers une heure avec Jacquemin un téléphoniste de Batterie ; nous ne connaissons pas l’emplacement de la meule de paille mais nous savons qu’elle est reliée à un P. C. de 75.
Nous gagnons donc tout d’abord ce P. C. et nous n’avons plus qu’à suivre la ligne téléphonique qui doit nous amener à l’observatoire. Nous traversons un grand champ de betteraves puis nous arrivons sur la route de Mesnil-le-Boucher à Ablain-St-Nazaire. La ligne suit le fossé.
A peine avons-nous fait 200 mètres que nous trouvons un chasseur à pied tué sur le bord de la route. Spectacle pénible. C’était là le premier mort que je voyais. Un kilomètre plus loin nous atteignons le sommet du plateau et nous sommes en vue des maisons d’Ablain; nous poursuivons malgré tout notre chemin quand les balles viennent siffler au-dessus de nos têtes ; nous nous abritons derrière une meule de blé qui se trouve en bordure de la route.
Puis nous repartons en nous faufilant rapidement d’une meule à l’autre ; quelques balles sifflent encore mais nous approchons du but. L’observatoire est à 50 mètres devant nous dans une meule de blé ; pour ne pas en déceler la présence nous rampons jusque-là dans le fossé de la route. Sous la meule on a aussi une petite tranchée qui sert d’abri au téléphoniste et du côté opposé au village redressée une échelle qui permet d’arriver au faîte. J’y monte pour observer le tir qui se fait dans de bonnes conditions et plusieurs maisons sont pulvérisées par nos gros obus de 115 kilos.
Malgré cette préparation l’attaque ne réussit pas et les Allemands retranchés aux lisières du village reçoivent nos malheureux fantassins à coup de fusil et mitrailleuses et les tâches rouges sont nombreuses sur les champs verts qui séparent les lignes.
Je retourne le lendemain à mon observatoire mais cette fois nous sommes repérés par les Allemands qui tirent sur la meule avec du 77 ; leur tir est très précis au troisième coup nous sommes encadrés. Puis les obus se rapprochent et ils mélangent fusants et percutants. Le premier fusant éclate 5 ou 6 mètres au-dessus de ma tête et en même temps un percutant éclate à 7 ou 8 mètres du pied de la meule. Je reçois trois éclats dans ma capote mais je ne suis pas blessé.
A ce moment un capitaine d’Artillerie qui se trouvait dans la petite trachée me crie : « Descendez malheureux vous allez vous faire tuer ». Je descends vivement et laisse passer la rafale qui nous a coupé notre ligne téléphonique en plusieurs endroits. Comme on ne voulait plus attaquer à cet endroit nous ne revîmes pas à cet observatoire.
Le 26 nous quittons Mesnil-le-Boucher à 7 heures du soir et nous arrivons à notre nouvelle position à 2h du matin. A 4 heures les Allemands commencent à bombarder le village dans lequel nous venons de nous coucher.
Quoique couchés depuis peu la plupart des hommes allument des bougies, se lèvent et se rassemblent dans la cour. Mais les derniers n’étaient pas sortis encore de la grange que le feu cesse. Les Allemands n’avaient voulu sans doute que nous sonner le réveil.
Du reste quelques instants après nous partions pour organiser notre nouvelle position de Batterie. Les pièces, deux seulement, sont en plaine en arrière d’un petit boqueteau entre un chemin bordé de peupliers et une ancienne carrière. A 11 heures les pièces étaient en place et le camouflage disposé à l’entour ; seuls les obus restaient à transporter. C’était un travail assez pénible et comme nous n’avions rien mangé depuis la veille 6 heures, les murmures se faisaient entendre de toutes parts et certains hommes refusèrent même de continuer le travail déclarant aux officiers qui finissaient leur déjeuner : « Il est facile de commander lorsque l’on a le ventre plein ». « Donnez-nous à manger et nous travaillerons ». Vers 1 heure la soupe arrive enfin. C’est un peu d’eau grasse dans laquelle nagent quelques morceaux de graisse. L’organisation de la position se poursuit dans la soirée.
Le 28 nous tirons quelques obus en arrière d’Arras
Le 29 à 7h du soir départ d’Etrun pour le Bois des Alleux près de Mont St Eloi. Le cantonnement de la Batterie sera Camblain-l’Abbé. L’emplacement est à la lisière nord-ouest du bois en arrière d’un petit talus.
Le lendemain 30, je pars seul et à pied à Berles-Monchel (12 kilomètres) pour y faire l’instruction sur les mortiers lisses dont certains sont antérieurs à la révolution de 1789. Ils doivent constituer notre première artillerie de tranchée. Le tir se fait dans un champ en bordure du village d’Izel-lès-Hameau. Les artilleurs de campagne que je dois instruire sur les fonctionnements des mortiers sont beaucoup amusés par ces bombes qui s’écrasent à 2 ou 3 cent mètres de nous et qui n’éclatent pas dans la proportion de 3 sur 10. Les mèches s’éteignant pendant ce court trajet.

Novembre 1914
1er Novembre je rentre à ma Batterie qui a changé de cantonnement et que le retrouve à Acq.
Le 3, je fais de nouveau l’instruction sur les mortiers lisses aux fantassins. Entre-temps nous braconnons les lapins assez nombreux dans cette région, ils nous permettent d’améliorer un peu notre ordinaire qui n’est pas fameux.
Je retrouve Mignard d’Aubigny sergent au 37ème d’Infanterie.
3 au 10 nov. période de grand calme.
Chaque jour j’accompagne le capitaine à l’observatoire d’où l’on voit du reste rien d’intéressant. Des deux côtés les fantassins aménagent un peu mieux leurs tranchées.
Le 11, un obus de 105 nous tue à Etrun 5 conducteurs et en blesse 6.
Le 18, nous recevons l’ordre de mettre sur roues nos 220 qui doivent être conduits au Parc d’Armée (la principale raison je crois est que nous manquons d’obus de gros calibre) pour les remplacer nous prenons livraison le lendemain de 155 Courts Filloux (GPC / Grande Puissance Filloux). Toute la journée la neige tombe c’est la première de l’année. Une forte gelée le 20 l’empêche de fondre. Nous souffrons du froid dans nos petits abris en paille et c’est avec impatience que nous attendons la nuit pour allumer du feu dans une vieille carrière du Bois des Alleux.
C’est tout à fait le bivouac représenté par les gravures ayant trait aux guerres napoléoniennes. (tableau peut-être tentant pour un peintre mais où il ne fait pas bon à être figurant).
Vers 8 heures chacun regagne son trou et se roule dans son manteau et sa couverture, on s’y réchauffe difficilement et les nuits semblent longues. Personne ne songe à faire la grasse matinée !
Le 27 les Allemands sans doute renseignés sur la présence de troupes à Acq tirent sur le village. Nous partons du reste le même soir pour venir prendre position en bordure de la route d’Anzin-St Aubin à Arras à 1500 mètres environ de cette ville.
Le personnel nombreux nous permet de faire double peloton de pièce. Une partie cantonnait à Louez-les-Duisans pendant que l’autre reste à la Batterie.
Le lendemain, j’installe une ligne téléphonique reliant la Batterie à un ancien moulin à vent qui va nous servir d’observation. L’endroit est mal choisi à tous points de vue. Tout d’abord nous sommes trop loin des tranchées que nous devons battre et la visibilité dans ce pays des brouillards continuels est très mauvaise ; en plus de cela ce moulin perché sur une hauteur est une cible pour l’Artillerie boche qui, se doutant de sa destination, y envoie à chaque instant des rafales de 77 et 105.
Aussi dès le lendemain l’observatoire est abandonné et nous installons une nouvelle ligne dans les arbres bordant la route Arras – Béthune ; nous devons rejoindre l’observatoire du Commandant Lenoble de l’Artillerie de la 45ème Div. I. il est adossé à un talus un peu après le carrefour que forme la route Béthune avec celle d’Anzin - Ecurie. C’est la position de soutien des zouaves qui tiennent le front en avant de nous de Roclincourt aux Ouvrages Blancs ; à peine arrivés nous recevons une quarantaine d’obus qui sert de près route et carrefour ; plusieurs zouaves et un général revenant des premières lignes sont renversés par un obus qui a éclaté tout près d’eux. Par un hasard providentiel tous se relèvent sans une égratignure.
Le lendemain 30 nous retournons de nouveau au poste du Cdt Lenoble appelé Madagascar du nom d’une auberge situé au carrefour indiqué précédemment. Le coin n’est décidément pas fameux. Nous sommes vus de face dès que nous nous redressons et sur le côté la route étant coupée à 500 mètres d’ici par les Boches les balles sifflent continuellement ricochant sur les pavés ou se fichant dans les arbres. Ce même jour l’une d’elles m’est passée si près du nez que j’ai senti le déplacement d’air et s’est enfoncée dans l’arbre à côté duquel je me trouvais ; puis ce sont à chaque instant des rafales de fusants qui coupent les branches et nous obligent à nous aplatir tout contre notre talus.

Décembre 1914
Le 3 déc., par suite du déplacement de notre champ de tir vers la droite nous installons un observatoire dans un ancien moulin situé dans la partie haute de Ste Catherine.
Le 4, pour la première fois depuis que nous occupons cette position les Boches nous saluent envoyant une vingtaine d’obus en avant de la Batterie certains tombent à quelques mètres des pièces. Dans la soirée je vais observer un tir au moulin. J’y retourne le lendemain. Mais à peine y sommes-nous installés que le bombardement commence. Les Boches tirent par rafales de quatre, dès la seconde un obus tombe sur une maison voisine où se trouve un poste d’infanterie ; des soldats se sauvent par une fenêtre il doit y avoir des blessés. 3ème rafale cette fois c’est notre tour le moulin a un morceau de mur emporté et deux fenêtres brisées par les éclats.
Notre ligne est hachée et nous ne pouvons plus avoir de communication téléphonique avec la Batterie ce jour-là. Le lendemain notre ligne est de nouveau coupée à plusieurs endroits aussi replions-nous ce qu’il en reste pour ne plus retourner au moulin.
7 et 8 décembre, Je vais à la 91ème Brigade comme agent de liaison en vue des attaques qui doivent avoir lieu dans le secteur.
Du 17 au 30, nouvelles petites attaques qui nous assurent quelques éléments de tranchés.

A notre échelon de Louez, le chef, le vaguemestre et un chef de pièce se sont réunis pour faire une popote. Je suis invité à me joindre à eux et j’accepte très heureux de pouvoir changer un peu l’ordinaire de la batterie.
A l’occasion de Noël nous faisons un bon diner (huitre, langouste, vin vieux, champagne, Chartreuse, cigares) chose qui ne m’était pas arrivée depuis bien longtemps. Je trouve un lit et puis me déshabille ce que je n’avais fait qu’une fois depuis le 3 Août.
Le village reçoit quelques gros obus mais tous ont la bonne idée de tomber à côté des maisons. Brondeau d’Aubigny est évacué malade embarras gastriques et état fébrile persistant.

- 1915 -

Janvier à Mars 1915
15 janvier au 1er mars, période calme sauf un bombardement assez violent de notre observatoire de Madagascar où nous sommes revenus. Je profite d’une journée de repos pour aller jusqu’à Haute-Avesnes sur la tombe de ce pauvre Jean qui a été mortellement blessé devant Ecurie alors que j’étais près de lui sans le savoir. Nous sommes vaccinés contre la typhoïde. J’accompagne le vaguemestre pendant les journées de congé qui nous sont données à cette occasion.
Je visite Hermaville et Aubigny en Artois.
1er mars, relève de la 45ème Division
2 au 8, les allemands attaquent sans merci devant Notre Dame de Lorette.
Les pères de 6 enfants (nous en avons quelques-uns à la Batterie) sont renvoyés à l’arrière.
Depuis quelque temps, les pièces sautent et aujourd’hui à 1500 mètres d’ici un 75 a été coupé en deux tuant deux servants et en blessant 3.
15. Nous qui avions été jusqu’ici Batterie isolée nous administrant nous-mêmes nous sommes affectés à un groupe sous les ordres d’un commandant.
C’est le début de la constitution de l’Artillerie lourde qui jusqu’à maintenant très peu nombreuse était complètement livrée à elle-même vaguement rattachée à un groupe de campagne qui très souvent ne savait pas l’utiliser.
25 – Je reçois la croix de Saint-Georges de Russie

Avril 1915
Nuit du 9 au 10 Avril. Les batteries sont chargées d’assurer à tour de rôle un service de repérage par les lueurs. Désigné pour ce service je fais ma première nuit d’observation au Séminaire d’Arras du 9 au 10 Avril. J’y arrive une heure avant la tombée de la nuit pour y voir un peu le terrain et m’orienter.
Je suis là à 1 kilomètre environ des premières tranchées boches.
Mon grenier a une partie du toit qui a été enlevée par un obus et n’est pas très confortable.
Je crois heureusement que le temps n’est pas à la pluie.
A la jumelle, on voit entre la tranchée boche et française une centaine de fantassins qui sont tombés là le 17 décembre 1914. La proximité des lignes et les mitrailleuses allemandes ont empêché de les relever pour les ensevelir.
Ils sont tous presque parfaitement alignés les malheureux ont dû être fauchés avec leurs officiers en tête 25 ou 30 mètres après leur départ de la ligne française.

La nuit tombe lentement et je suis bientôt seul en tête à tête avec mon triangle de visée, l’autre sous-officier qui doit observer pendant la seconde partie de la nuit dort sous sa couverture dans le coin du grenier encore recouvert d’un toit.
Les Boches tirent peu, je note quatre ou cinq lueurs différentes pendant ma garde. Le matin au petit jour nous reprenons chacun le chemin de notre batterie, je continuais à assurer ce service toutes les nuits jusqu’aux premiers jours de Mai.
Les Boches se montrèrent assez convenables à notre égard et ne bombardèrent pas le séminaire pendant que nous nous y trouvions.
La seule chose intéressante que j’y vis est un train qui circulait en arrière des lignes allemandes et que je suivais par la lueur de la machine. Je l’ai observé deux fois entre 11 heures et minuit, avant et après ces heures, il n’était plus dans mon champ de visée.

Mai 1915: 2ème bataille de l’Artois
9 et 10 Mai et jours suivants
Le 9 Mai grosse attaque qui est déclenchée à 10 heures du matin depuis Notre Dame de Lorette jusqu’à Arras. Devant nous à la droite du front d’attaque le 17ème Corps d’ Armée puis le 20ème, le 33ème et le 21ème. Je suis envoyé au village d’Ecurie devant lequel le pauvre Jean a été tué en novembre dernier. Je donnerai au capitaine des renseignements sur le tir et lui signalerai notre avance. Je me servirai de la ligne téléphonique d’un groupe de 75.
Deux de leurs pièces sont en batterie dans le village même, prêtes à soutenir la progression de l’infanterie.
La préparation d’artillerie qui a commencé déjà depuis plusieurs jours augmente d’intensité pendant la matinée. Les salves de 75 font voler la terre des tranchées et déchiquètent les sacs à terre tandis que les gros canons pilonnent les lignes de soutien et les villages de l’arrière. Thélus est plein de fumée et les pans de mur s’écroulent, le clocher fortement penché depuis neuf heures se tiendra encore dans cette position bizarre pendant 3 heures pour s’écrouler complètement à midi précise.
L’heure de l’attaque a sonné depuis plus de 2 heures et les fantassins du 17ème Corps qui sont devant moi ne sortent pas (ou à prétendre que la préparation d’artillerie était insuffisante, excellente raison pour rester terrés). Mon rôle consiste donc à regarder pour ne rien voir. A notre gauche le 20ème Corps a légèrement progressé atteignant la route de Béthune et les abords de Neuville – St Vaast. Le 33ème Corps s’emparait des Ouvrages Blancs franchissait la route de Béthune dépassait la crête de Vimy et à midi, deux heures après le déclenchement de l’attaque occupait le village du même nom. Malheureusement le manque de renfort devait les empêcher d’exploiter ce beau succès et les contraindre à se replier dans la soirée avec de lourdes pertes. Le 21ème Corps progressait lui aussi mais au milieu de très grandes difficultés.
10 au 18 Mai – Notre droite n’ayant pas progressé nous devons préparer une nouvelle attaque et ma batterie est chargée de battre la tranchée en avant de Roclincourt. Je fais installer très rapidement une ligne téléphonique et presque chaque jour j’irai observer les tirs en première ligne.
La préparation d’artillerie devant commencer le 12 je suis réveillé à 1 heure du matin par un agent de liaison pour être rendu au jour à l’observatoire.
Nous traversons la Scarpe sur un peuplier abattu qui forme pont, coupons pour St Aubin, longeons Ste-Catherine pour arriver à la route de Lille. Là nous prenons le boyau creusé dans le fossé pour vérifier notre ligne qui le suit.

Plus tard après avoir traversé la route sous un aqueduc nous voilà en vue de Roclincourt et il fait jour, la première chose que nous voyons en arrivant dans le village ce sont cinq cadavres étendus chacun sur un brancard ; ils ont été descendus des lignes pendant la nuit par les brancardiers qui se disposent à les enterrer dans un champ encore entouré de murs et protégé de ce fait de la vue des Boches.
Le village a déjà beaucoup souffert, pas une maison qui ne soit intacte, certaines même n’ont plus qu’un ou deux pans de mur.
A la sortie les troisièmes lignes françaises, tout le long du boyau des fantassins sont accroupis ou dorment recroquevillés dans de petits trous creusés dans les parois. Enfin nous voilà au boyau Abd-el-Kader (les zouaves furent les premiers occupants) puis en première ligne. Devant nous à 200 mètres les tranchées allemandes avec les sacs à terre de toutes les couleurs. Ils ont été fabriqués avec le linge, rideaux et tentures volés dans les villages abandonnés. Ce matin tout est calme, quelques coups de fusil claquent puis tout retombe dans le silence. A part quelques salves de 75 et une vingtaine de 150 entre la première et la deuxième ligne la journée est assez tranquille.
Du 18 au 21 nous revenons observer à Madagascar (cote 107) mais ce ne sera que trois journées seulement.
21 au 28 la batterie ne faisant pas de nouveaux tirs nous n’occuperons pas d’observatoire. A partir du 28 je retourne un jour sur deux à Roclincourt. Azière assure le service l’autre jour.
L’observatoire se trouve toujours à la jonction du boyau Abd el Kader avec la première ligne (coin particulièrement bombardé et repéré) .
Au cours d’une matinée encore plus mauvaise que de coutume un obus de 77 s’écrase derrière moi sur le parapet de la tranchée deux éclats revenant en arrière se fichent dans la terre de chaque côté de ma tête, je l’ai échappé belle.
Le lendemain, le parapet de sacs à terre derrière lequel Azière observait est complètement démoli par un obus, heureusement pour lui juste à ce moment il était allé donner le résultat d’un coup au téléphoniste. Les tirs de démolition continuent ainsi jusqu’au 16 juin jour de l’attaque. La première vague réussit à prendre pied dans la tranche boche mais les tirs de barrage déclenchés aussitôt derrière elle, empêchent les réserves d’avancer.
Les fantassins qui occupent la ligne allemande s’y maintiennent péniblement toute la journée et sont obligés d’évacuer pendant la nuit. A cours de cette journée du 16 et pendant la nuit suivante les pertes furent élevées.
Le 17 au matin je suis à Roclincourt, les boyaux et les tranchées sont remplis de cadavres, il est impossible de passer sans leur marcher dessus, partout des brèches qui sont battues sans arrêt par les mitrailleuses boches et où il faut faire vite pour passer. Le bout de sape où se trouve notre téléphone est en partie démoli et ses occupants sont des morts, pauvres blessés sans aucun doute qui se sont trainés là pour mourir, des paquets de pansements défaits et des bandes de toiles pleines de sang trainent de tous côtés. Quel douloureux spectacle !
Ce dernier échec marquera la fin des attaques dans le secteur et nous ne réoccupons plus les premières lignes.
A partir du 19 nous allons aux Quatre-Vents observatoire situé plus en arrière sur la deuxième position.

Juin à septembre 1915
22 Juin – Le brigadier Pally un de mes bons camarades est nommé Mal des Logis.
15 Juillet- Premier départ des permissionnaires.
Le 25, second départ. On attend impatiemment son tour, pour mon compte personnel je ne suis pas allé en permission depuis 15 Juin 1914
Notre cantonnement est bombardé – deux blessés : une petite fille a une jambe brisée et un de nos conducteurs est atteint plus légèrement.
Le 28 notre capitaine est fait Chevalier de la Légion d’honneur (croix de guerre avec palmes).
Du 4 au 15 Août - Permission de huit jours non compris le voyage. Quoique le trajet soit long et le train peu confortable elle est bien accueillie.
Le 15, la Batterie qui depuis décembre était divisée et dont l’autre section était en position à Arras même, est réunie à nous et leurs pièces sont placées sur la même ligne que les nôtres.
Du 15 au 30 nous réoccupons (l’observatoire) les Quatre-Vents et reprenons l’observation de nuit à la cote 107, le poste est en plein air dans un bout de boyau et les nuits sont fraiches. On fume des pipes pour se réchauffer mais malgré tout les heures semblent longues.
Le 30 nous retournons en première ligne à Roclincourt.

Le 3 septembre nous recevons à la batterie le Maréchal des logis Thomas, Mal des logis rengagé avant le mois d’août 1914. Il a gagné ses galons de chef en faisant la guerre à Epinal depuis cette date (bel encouragement pour ceux qui ne sont pas rengagés et qui occupent le vrai front depuis près d’un an).
Le 25 septembre après 6 jours de bombardement l’attaque est déclenchée à midi vingt-cinq, le temps est mauvais; une petite pluie fine tome depuis le matin et rend le terrain glissant et difficile pour la marche en avant de l’Infanterie.
A 4 h la progression est à peu près nulle.
26 et 27. Nous attaquons à nouveau toujours sans résultat. Pendant ces quelques jours d’offensive je vais tous les jours en première ligne et ai fort à faire avec mes lignes téléphoniques qui sont coupées sans arrêt. Le 27 fut une journée particulièrement dure nous ne pouvons plus arriver à assurer la communication tant le bombardement est violent. Dans les boyaux et tranchées ce ne sont que trous et brèches et partout des débris de planches de sacs à terre et d’équipement. Dans la soirée en remplaçant mes téléphonistes fatigués je suis à moitié recouvert de terre par un obus de 77 qui est tombé sur le parapet et a tué un malheureux fantassin qui suivait le boyau en courant il a roulé comme un lièvre et est venu s’aplatir presque à mes pieds frappé à mort.

Octobre 1915
2 Octobre – Nous changeons d’emplacement de Batterie.
Avant l’arrivée des pièces j’établis une ligne téléphonique, la nouvelle position est au pied d’un petit talus en arrière de la route de Béthune près des ruines du hameau de Rietz (St Sauveur), nous sommes batterie avancée en avant des 75 le terrain est couvert de trous d’obus et il nous faudra assurément en combler quelques-uns pour mettre les pièces en place.
En installant ma ligne je fais connaissance pour la première fois avec les obus asphyxiants, ce sont des lacrymogènes qui font tousser et pleurer, l’un d’eux tombé tout près me couvre de terre aussi en resterai-je parfumé pendant plusieurs jours.
5 octobre. Bombardement de la batterie une pièce est mise hors d’usage par un obus tombé en plein dessus.
10, je me retrouve avec Louis Carrier qui m’invite à déjeuner le lendemain à Maroeuil. J’y vois Célestin Diard. Dans la soirée notre position reçoit encore un violent bombardement de 210. Les obus tombent nombreux en avant et en arrière des pièces, un abri à munitions est écrasé, le boyau qui relie les pièces est éboulé à plusieurs endroits, le sous-officier artificier est blessé et évacué vers l’arrière en raison de son âge (classe 1890) nous ne le reverrons plus à la batterie.
Vers le 15 nous commençons à recevoir quelques nouveaux casques, comme observateur je suis servi dans les premiers, on nous distribue également des cagoules pour nous protéger contre les gaz en remplacement des compresses qui jusqu’à maintenant nous nous appliquions sur la figure et qui nous protégeaient d’une façon bien imparfaite.

Les terres remuées par le dernier bombardement ne tiennent plus et un homme de la 4ème pièce est pris dans un éboulement et assez sérieusement blessé.
Le 30 nouvel éboulement d’un abri sous lequel deux hommes sont pris, nous les dégageons avec beaucoup de difficultés et ils sont évacués fort mal en point.

Novembre 1915
6 Novembre – Nous quittons les Rietz (St Sauveur), à 11 heures du soir, les pièces vont jusqu’à l’échelon tandis que nous restons à Louez avec les servants. Notre capitaine rappelé à l’arrière pour s’occuper de la fabrication des munitions et du matériel est remplacé dans son commandement par le capitaine Buisson qui était déjà en second à la batterie, il a comme adjoint le sous-lieutenant Martin.
Le 7 nous quittons Louez à 6 h du soir et nous allons jusqu’à Mont-St-Eloi où nous retrouvons des pièces parties de l’échelon avec la moitié du personnel servants.
Il fait nuit depuis deux heures quand nous partons de Mont-St-Eloi derrière notre capitaine qui tient la tête de colonne. Pour commencer il nous dirige sur une mauvaise route, il nous faut faire demi-tour en plein champ, le terrain détrempé et gras ne facilite pas l’opération et ce n’est que vers onze heures que nous nous retrouvions à l’entrée de Mont-St Eloi, c’est-à-dire presque à notre point de départ.
A nouveau nous voilà partis, cette fois au lieu de tourner à droite nous continuons tout droit et sommes arrêtés à la sortie du village. La seconde erreur du capitaine va nous couter plus de peine encore que la première, cette fois il nous faut dételer canons et plateformes et les tourner à bras en décrochant les avant-trains ce qui n’est pas un petit travail. Une plate-forme doit être abandonnée sur place avec une roue cassée.
Enfin nous repartons, ce sera la fin de nos pérégrinations, à 3 h du matin nous arrivons aux 31 Abris (ndr «31 abris », à l’Ouest de la route de Béthune). C’est là, paraît-il, que nous devons placer nos pièces (pour faire environ 3 kilomètres il nous a fallu 8 heures, le capitaine avait trop bien diné avant de quitter Louez).
Notre installation est à peu près terminée au jour. Le même soir à cinq heures et demie le capitaine reçoit l’ordre de changer d’emplacement de Batterie (il y avait sans doute eu erreur de sa part la veille) enfin à peine installé il nous faut à huit heures du soir recommencer à mettre nos pièces sur roues entamant notre seconde nuit sans sommeil. Nous avons fini notre travail vers 1 h du matin.
A 3 heures nous partons pour notre nouvelle position du bois de Berthonval.
Une petite côte avec un tournant au départ et un chemin très mauvais ensuite ne nous facilite pas le trajet qui quoique très court nous demandera cependant près de deux heures. A midi tout est terminé les pièces sont en place, il ne nous reste plus qu’à nettoyer et assainir le chemin qui passe derrière les canons et dans lequel on s’enfonce jusqu’à mi-jambe.
Les jours suivants nous nous occuperons de la construction des abris pour les minutions et le personnel, ce sera dans ce terrain très glissant un travail difficile je dirai même impossible à certains endroits, il ne sera laissé qu’un fort peloton sur la position tandis que le reste des servants logera au 31 Abris pendant la nuit ainsi que les officiers.
11 nov. Nous ne retournerons plus à Louez où nous étions pourtant très bien depuis près d’un an. En raison de sa trop grande distance, le pays est définitivement abandonné. Le repas se prendra au bois des Alleux à 1500 mètres de Mont St Eloi. Adieu le lit et la chambre bien close, il n’y a là que de mauvaises cabanes en terre où il pleut comme dehors.
13. Après 5 jours et 6 nuits consécutifs passés à la Batterie nous descendons éreintés au bois des Alleux et malgré le manque de confort nous nous casons dans ces mauvais abris et nous y étendons pour dormir remettant au lendemain les réparations.
Les 31 Abris se composent d’un nombre assez considérable de cabanes faites de terre et de branchages adossés à un talus en bordure d’un chemin ; il y en a de tous modèles et de toutes dimensions ; elles sont également plus ou moins closes mais toutes sans exception sont habitées par de gros rats dont il nous est impossible de nous débarrasser malgré une chasse sans merci. Le pain et les quelques provisions que nous avons sont complètement dévorés si nous n’avons soin de les suspendre à un long fil de fer accroché au plafond et assez éloigné des murs. Il nous arrive assez souvent pendant la nuit d’être réveillés par un rat qui nous passe sur la figure.
A part ces quelques désagréments le coin est assez calme quoique très sale, c’est par excellence le pays de la boue.
Nous tirons peu et notre grand passe-temps est la chasse aux rats.

Décembre 1915
11 Décembre. Je vais observer et faire une visite de secteur avec le lieutenant Martin, nous nous rendons en première ligne par un boyau à peu près impraticable et il n’y a pas d’autres chemins. Il est impossible de passer à découvert sans être tirés par les mitrailleuses qui nous dominent.
Au début la boue qui ne nous arrivait qu’à la cheville augmente peu à peu et maintenant c’est jusqu’aux genoux que nous enfonçons obligés à chaque pas de nous agripper aux parois glissantes du boyau pour arracher nos jambes ; des éboulements se produisent à chaque instant mettant à découvert quelque partie de cadavres enterrés là ; ici une main là un pied raidi qui accrochent au passage les courroies de la jumelle ou de la musette. Enfin après une heure d’effort nous voilà en première ligne là on a creusé de petits fossés et placé des caillebotis ce qui évite un peu la boue.
Les Boches sont tout près, leurs postes d’écoute sont à peine éloignés des nôtres de 25 à 30 mètres, nous nous y rendons pour examiner de plus près l’organisation allemande, on évite de se montrer et les fantassins qui occupent ces postes nous obligent à parler bas craignant les grenades de leurs voisins d’en face.

Nous mangeons notre pain et notre viande froide agrémentés d’un morceau de gruyère et d’un quart de vin rouge sous un abri en tôle où l’on peut s’asseoir sans être dans la boue. A peine avons-nous fini que les Boches nous envoient le dessert sous forme d’obus de 77, une quarantaine au moins qui tombent tout autour de nous respectant à peu près notre abri dont seules 2 tôles sont percées par des éclats.
En souvenir de notre voyage dans la boue et notre visite aux abords du bois de la Folie, le lieutenant Martin qui a apporté son appareil me photographie à côté de notre table à manger de fortune, puis un peu plus tard nous prenons le chemin de retour en pataugeant pendant une heure dans le boyau que nous avions suivi le matin, en rentrant il nous faut changer de culotte et de chaussure qui sont inutilisables.
Vers la même époque nous commençons à construire une position avancée légèrement en arrière de la route de Béthune. Il est creusé pour chaque pièce une plate-forme profonde ; un boyau passe derrière sur lequel débouchent les entrées de sapes. Ce sera une position et confortable mais il le faudra en raison de la proximité des lignes et du manque absolu de couvert pour la dissimuler, notre batterie sera soumise à de fréquents bombardements.
Chaque jour une partie du personnel vient des 31 Abris pour y travailler.
Quelques jours après je prends le commandement de la première pièce en remplacement de Ropiteau malade et évacué.
Il nous arrive aussi également du dépôt d’Angoulême un jeune adjudant-chef de 19 ans, on gagne des galons très vite dans certaines villes de l’arrière.


- 1916 -

Janvier 1916
10 Janvier – Je remplace Monplaisir à l’observatoire pendant sa permission. Je vais tous les deux jours à la cote 116.
Le 20. L’adjudant-chef qui est arrivé il y a trois semaines environ est replacé comme simple adjudant et versé dans une autre batterie. Pour le remplacer nous recevons un adjudant rengagé comptant 14 ans de service et venant toujours en droite ligne du dépôt.

23 Janvier - En face de nous les Boches font sauter une mine et commencent à attaquer les jours suivants de nouvelles mines sautent et bouleversent complètement notre première ligne qui est occupée en partie, de ce fait les nôtres sont obligés de contre-attaquer, aussi cette fin janvier est particulièrement agitée.

Le 28 alors que j’étais à l’observatoire de la cote 116, les Boches font sauter une nouvelle mine et attaquent aussitôt. Le tir de barrage déclenché en même temps coupe notre ligne téléphonique nous privant de communication avec la Batterie au moment où nous en avions le plus grand besoin.
Le lieutenant m’envoie aussitôt prévenir le capitaine pour qu’il puisse empêcher l’usage des renforts. La mission est difficile à remplir, je dois m’aplatir assez souvent pour éviter les rafales de percutants et fusants qui se succèdent sans interruption. J’ai la chance de passer et d’arriver indemne à la Batterie ce qui permet au capitaine de mettre aussitôt ses pièces en action et gêner l’approche des renforts allemands.

Le 21 je pars en permission pour la seconde fois et rentre le 28.
Pendant mon séjour à Aubigny se déclenche la grande offensive allemande à Verdun.

Mars et avril 1916
10 Mars - Les Anglais commencent à arriver pour nous remplacer dans le secteur d’Arras. Tout d’abord relève de l’Infanterie puis de l’Artie. Nous quittons la position le 14 pour coucher le soir à notre échelon à Acq.
Le 15, nous partons et faisons une première étape passant par Haute- Avesnes, Maison Rouge, Savy-Berlette, Berles, Penin, Maizières, Gouy en Ternois.
Le lendemain seconde étape, Sibiville, Frévent, Ligny/Canche, Vacquerie (Bernaville), Buire et Vaux où nous resterons jusqu’au 21.

Le 21, départ de Vaux pour Auxi-le-château où nous embarquons et que nous quittons à 10 heures du soir. Après 14 heures de chemin de fer nous débarquons à Maizy/Aisne. A 6 ou 7 kilomètres de là nous passons dans la Marne pour aller cantonner à Chavenay.
Je loge chez de vieux vignerons et j’ai un lit.

Le 24 à 7 heures du matin, après cinq jours de repos destinés à passer une revue général du personnel et matériel nous quittons Chavenay pour Chaumuzy.

Le 29, Une partie du personnel (je suis du nombre) part avec trois voitures d’agrès et le matériel téléphonique pour Cormontreuil.

30 mars et jours suivants, nous trouvons à Cormontreuil une très belle installation qui nous change de nos derniers jours d’Artois. Notre popote est installée d’une façon tout à fait confortable cuisine, salle à manger, salon et pour chacun de nous une chambre avec un très bon lit.
Le pays est à peu près intact et la plupart des habitants sont encore là, les jardiniers sont nombreux encore et peuvent nous ravitailler en légumes nouveaux (radis, salades, etc.) ce qui est très appréciable pour des gens qui ont vécu surtout de conserves depuis dix-huit mois.
Nos pièces sont dans un parc superbe entre la Vesle et le canal (Parc de la Vesle ?), les hommes peuvent y circuler tout à fait à l’aise sans crainte d’être vus des avions. Le secteur est très calme et presque chaque jour je vais à l’observatoire quoique nous tirions peu.
De part et d’autre on ne se cache pas et bien souvent il m’est donné de voir des petits mouvements de troupe, des cavaliers ou des cyclistes circulant sur les routes de l’arrière.
De notre côté nous nous promenons également à 3 ou 4 kilomètres des lignes même à cheval sans être jamais inquiétés.
Reims, qui est tout proche, Cormontreuil en étant un faubourg, a déjà beaucoup souffert.
Quel changement pour moi qui l’ai vu en 1913!
La plupart des quartiers sont abandonnés, les abords de la cathédrale ont particulièrement souffert, la place qui se trouve en avant est remplie de trous d’obus. La cathédrale elle-même a été en partie brûlée et les murs sont percés à plusieurs endroits, le portail principal qui était une véritable dentelle a beaucoup de ses sculptures abimées par les éclats d’obus.

Le 23 Avril, étant à l’observatoire je vois une chose bien curieuse dans le village de Cernay qui se trouve quelques centaines de mètres à peine en arrière des premières lignes allemandes et où intentionnellement les Boches n’avaient pas évacué la population civile. Vers midi j’aperçus des femmes plutôt petites habillées de blanc, une dizaine peut-être qui suivaient toutes la même direction accompagnées d’autres femmes en costume plus sombre. C’était justement un dimanche et ce que je voyais était la première communion à Cernay. A la jumelle je distinguais parfaitement les petites communiantes accompagnées de leurs grandes sœurs en toilette relativement claire et leurs mères en costume plus sombre.
C’était un spectacle vraiment curieux que cette première communion de petites françaises à 500 mètres de nos lignes où peut-être l’une d’entre elles avait son père.
De temps en temps je voyais un soldat boche traverser une rue du village mais il ne s’attardait pas et passait souvent en courant.
Jusqu’au début de mai, aucun incident notable si ce n’est quelques obus autour de la Batterie.

Mai 1916 : position de repli dans la forêt de la Montagne de Reims
4 Mai – Nous quittons Cormontreuil à 11 h du soir pour arriver à Chaumuzy le lendemain à 4 h du matin.

6 Mai - Départ de Chaumuzy le matin à 5 h pour Cumières. Je fais le logement avec le fourrier, nous sommes toujours en plein pays de Champagne et les vignerons nous reçoivent d’une façon parfaite, nous y passons 10 jours.
Notre popote est installée chez une vieille rentière qui met à notre disposition sa cuisine et sa salle à manger. J’ai pu également trouver un lit que je partage avec Azière. C’est vraiment un pays très agréable et nous sommes tous d’accord pour déclarer que nous y finirions bien la guerre, malheureusement le 16 il faut s’arracher aux délices de Cumières, remonter à cheval à 5 h du matin pour aller faire le logement à Bouzy.

Nous traversons entre ces deux pays de grands crûs Ay puis Mareuil. Nous passons à Bouzy la journée du 17 et nous y laisserons notre échelon, le lendemain départ pour la forêt de la Montagne de Reims pour y occuper une position de repli, si l’on devait nous y laisser tranquilles, ce serait par ce beau temps de Mai l’emplacement idéal. En pleine forêt à 7 kilomètres des lignes allemandes dans un des secteurs les plus calmes qui soient. Malheureusement à peine nos pièces sont-elles en place qu’il nous faut faire abris à personnel et abris à munitions.
Le commandant a donné ses instructions et le genre de construction qu’il désirait.
2 jours après le colonel donne des ordres contraires ce qui nous oblige à défaire et à recommencer. La semaine suivante, les chefs que nous voyons régulièrement chaque jour (l’endroit n’est pas dangereux) trouvent le travail insuffisant. On réglemente les heures de travail ainsi que la tenue des travailleurs enfin c’est le temps de paix en pleine guerre. Nous sommes sous la tente absolument dans les mêmes conditions que dans les camps aux écoles à feu avant 1914.
Le soir nous sommes libres de 6 à 9 heures ce qui nous permet de nous rendre de temps en temps à Verzy qui se trouve à 2 km en avant ou à un observatoire d’où l’on a une vue superbe.

Juin 1916 : bataille de Verdun
Cette position de repli n’était pas faîte pour notre Batterie qui n’avait jamais quitté le front depuis Octobre 1914 et le 2 Juin nous retournions à Bouzy et en partions le lendemain pour Longevas. Je fais toujours le logement.
La distance est de 3 kilomètres et notre cantonnement n’est pas fameux, c’est un tout petit pays où seuls les hommes seront à l’abri sur les greniers et dans les granges avec très peu de paille. Tous les chevaux sont dehors à la corde.
4 – Etape de 26 kilomètres de Longevas à Somme-Yèvre – pays en torchis où la plupart des maisons ont été abimées par les troupes qui se succèdent sans arrêt dans cette région – population forcément hostile.

5 – Somme-Yèvre – Triaucourt (24 km) c’est la marche ultra-rapide vers Verdun dont nous approchons. Ici le pays plus important que les précédents est plein de troupes et on sent la proximité du combat. Ce sont des allées et venues continuelles et la nuit peu longue est très mauvaise ; tout ce remue-ménage empêche de dormir.

Le 6 au matin, nous partons de Triaucourt nous dirigeant vers Verdun, la route est encombrée par les ravitaillements et les convois automobiles qui, en files interminables, transportent les troupes vers les lignes ou les ramènent à l’arrière.
Nous arrivons bientôt à un carrefour où la circulation est réglementée d’une façon très sévère.
Des gendarmes s’y trouvent et nous obligent à quitter la route exclusivement réservée aux automobiles, il nous faut suivre les pistes tracées de chaque côté. Enfin après de nombreux arrêts nous arrivons vers deux heures du soir dans un bois rempli d’échelons, partout des tentes, des abris en terre recouverts de branchages et en longues files attachées à la corde des chevaux enfoncés dans la boue jusqu’à mi-jambe.
On nous indique un coin du bois non occupé et voilà l’échelon des Batteries.
A 5 heures ordre aux deux premières pièces de manger et de se préparer.
Départ à 6 heures pour organiser la position, les canons seront amenés plus tard quand leur emplacement sera aménagé. Nous entassons dans deux chariots de parc et en route. La première partie du chemin se fait sans difficulté.
A 3 ou 4 kilomètres de Verdun l’aspect change brusquement, les maisons sont éventrées, les toitures abattues et les trous d’obus de plus en plus nombreux indiquent le début de la zone dangereuse. Quelques obus passent en sifflant pour aller tomber à une centaine de mètres plus loin. Nos hommes sont silencieux, tous pensent qu’allons-nous trouver là-haut ?
La région que nous traversons est de plus en plus dévastée, le roulement des canons se fait de plus en plus fort, des ravitaillements de 75 nous dépassent au grand trot, la nuit tombe nous voici dans les faubourgs de Verdun.
Des pans de mur noircis, des amas de pierre, des rues désertes, une porte, un pont sur la Meuse et nous sommes au Faubourg Pavé.
Là sont échelonnées à droite et à gauche de la route des batteries de 75 et de 105 tirant sans arrêt, à chaque coup de longues flammes sortent des pièces nous aveuglant et nous assourdissant à la fois.
Un peu plus loin, arrêt en bordure d’un bois, nous descendons c’est le bois des Essarts, nous commencerons demain au jour à préparer l’emplacement des pièces. L’officier qui a fait la reconnaissance nous conduit aux casernes Marceau où nous passerons la nuit.
Le coin est particulièrement marmité et les rafales d’obus se succèdent sans interruption toute la nuit criblant d’éclats les murs et brisant les tuiles.
La journée suivante se passe à préparer l’emplacement et à transporter du matériel. L’eau nous manque totalement et il faut établir des corvées deux fois par jour pour aller chercher à 2 kilomètres de l’eau nécessaire pour boire et faire la cuisine.
La route suivie copieusement bombardée rend difficile le recrutement du personnel nécessaire, il faut rationner sévèrement et je distribue seulement un quart d’eau à chaque repas.

7 Juin – Les obus tombent sans arrêt en avant de la position sur une large piste qui coupe le bois puis en arrière sur la voie ferrée. Le soir entre 9 heures et minuit mise en place de la 4ème pièce.
8 – Journée très dure, il nous faut travailler toute la journée et toute la nuit pour mettre en position les 1ère, 2ème et 3ème pièces et au milieu de tout cela les obus tombent plus près que la veille les éclats sifflent de tous côtés cassant les branches au-dessus de nous.

Les journées du 9 et 10 sont un peu plus calmes.
Le 11 le chef de la 2ème pièce n’ayant pas eu le temps de vérifier son champ de tir envoie un obus dans un arbre, cet éclatement prématuré blesse deux servants et le maréchal des logis Monplaisir, un autre homme de la pièce est fortement commotionné, pendant deux jours il est impossible d’en tirer une seule parole.
Le 13 – Second éclatement prématuré à la Batterie Mercier qui prolonge la nôtre. J’allais porter une lettre à l’agent de liaison cycliste qui devant redescendre à l’échelon, deux pièces de chaque batterie tiraient à cadence lente quand une explosion formidable se produisit. Calais de la 4ème pièce roule à mes pieds frappé à mort, Baudet râle avec une blessure à la tête, plus loin un autre servant à la jambe brisée, l’agent de liaison se traine blessé aux reins, deux hommes de la 3ème pièce se sauvent dans leurs abris épouvantés.
Des cris partent de la Batterie Mercier, plusieurs servants sont là blessés, le chef de la 1ère pièce est étendu face contre terre, la tête broyée, les deux lieutenants et l’aspirant qui se trouvaient dans un abri en tôle en avant des pièces, sortent la tête ensanglantée, l’un d’entre eux qui a en plus une blessure aux reins se trouve mal. Enfin ce malheureux obus coutera aux deux batteries un total de quatorze tués et blessés.

Le 15 à 5 heures du matin je tire à la 2ème pièce avec une partie seulement de mon personnel les autres servants dorment dans notre abri quand un 130 s’écrase à 20 mètres devant nous nous couvrant de terres et de pierres, il est tombé en plein sur l’abri que nous avons quitté tout à l’heure ; des cris partent de là deux de mes hommes sont grièvement blessés, l’un avec les deux jambes brisées, l’autre avec une blessure au ventre, ils sont transportés aussitôt au poste de secours. Dans la soirée le bombardement augmente plusieurs arbres sont coupés autour de nous. Mes avant-trains sont brisés et je n’ai que le temps de me jeter derrière un gros arbre dans lequel s’enfoncent plusieurs éclats de l’obus qui vient d’éclater à quelques mètres en avant de ma pièce.
J’étais arrivé ici il y a dix jours à peine avec 12 servants et à la fin de cette journée du 15 juin il m’en reste 6 très fatigués plus mon brigadier. 2 ont été blessés ce matin, 4 courbaturés et fiévreux sont partis tout à l’heure à l’échelon et malgré ce personnel réduit il faut tirer toute la journée faire deux, trois ou quatre barrages de la tombée de la nuit jusqu’à onze heures du soir ; ensuite ce sont les ravitaillements de vivres et d’obus qui arrivent de minuit à 2 heures.

Le 16, Je réclame du renfort et reçois deux hommes qui n’ont jamais vu un canon mais qui comptent pourtant comme artilleurs et mon effectif à 8 servants.
17-18 : Nous tirons de plus en plus, nous ne dormons plus depuis trois nuits que quelques heures entre 2 et 6 heures. Les pièces chauffent, les affûts se fêlent peu importe il faut tirer encore et encore.
J’apprends la mort d’un de mes hommes blessés le 15.
Malgré ce travail intensif et ces nuits sans sommeil il nous faire encore des reconnaissances de nos premières lignes dans la région du bois de Nawé. Service qui devrait être assuré par des officiers d’état-major ou tout au moins par les adjoints du commandant. La hernie Fleury ferme et ouvrage de Thiaumont nous oblige à un détour considérable par Belleville et Bras pour gagner nos lignes du bois de Nawé et du ravin de la Dame. ¨
Partis à 2 heures du matin avec le téléphoniste Joseph nous arrivions à Bras au lever du soleil, à cette heure le secteur était assez calme, les tirs de barrage se produisaient plutôt le soir de la tombée de la nuit à onze heures - minuit. Le village était pulvérisé, à chaque carrefour des voitures brisées et des cadavres de chevaux.
Nous nous engageons dans un ravin en suivant ce qui a été un boyau une odeur de poudre et de cadavres vous prend à la gorge. Quelques 150 à notre droite sur la ferme Thiaumont, quelques coups de fusil devant nous puis tout retombe dans un calme impressionnant.
Les fantassins que nous dépassons blottis dans des trous ont tous un teint terreux et semblent très fatigués, nous voilà en vue des Boches nous avançons en rampant et faisant vite pour aller d’un trou à l’autre puis c’est l’abri du colonel auquel je viens demander de vouloir bien m’indiquer sur le plan directeur l’emplacement de notre première ligne ; nous reprenons notre marche à quatre pattes pour aller demander un renseignement identique au commandant de chasseurs qui tient les lignes plus à droite. Nous sommes salués par une mitrailleuse qui nous oblige à nous aplatir pendant quelques minutes dans un trou. Ces deux officiers me reçoivent très bien satisfaits sans doute de voir que l’artillerie se tient au courant des fluctuations du front. Le retour se fait dans de bonnes conditions sauf quelques 150 qui tombent dans le canal au moment où nous arrivons à Belleville, nous ne recevons rien. Le soleil chauffe de plus en plus et vers midi nous arrivons à la batterie plutôt fatigués, il est vrai que depuis ce matin 2 heures nous avons fait à pied au moins 25 kilomètres.
Je m’arrête au Poste de commandement du groupe ; confortablement installé dans un abri enterré le commandant Renou a pris connaissance des renseignements rapportés me gratifiant d’un « c’est bien » pour tout remerciement.
La 2ème pièce n’en veut plus l’affût complètement cassé elle est renvoyée au parc d’Armée, en attendant son remplacement il faudra que les tirs soient répartis sur les autres pièces.

Dans la nuit du 22 au 23 attaque, les batteries sont arrosées toute la nuit d’obus à gaz. De 3 à 6 heures du matin il nous faut tirer sans arrêt avec les masques, certains hommes qui se sont affolés et ont enlevé leur masque sont assez sérieusement touchés et il faut les évacuer dans la journée du lendemain.
Le 25, le bombardement reprend terrible les Boches attaquent furieusement pour s’emparer de Souville ; ils continuent le 26 et 27 à tirer d’une façon effroyable lançant 6 divisions sur un front de deux kilomètres. Malgré une débauche d’hommes et de munitions ils ne réussissent qu’à déboucher le premier jour du village de Fleury et le second jour après quatre ou cinq attaques successives à s’emparer de la Chapelle Ste Fine. Là ils sont arrêtés et malgré toutes leurs attaques dans ma journée du 27 il leur est impossible de progresser. L’artillerie formidable concentrée dans ce secteur veille et les tirs de barrage déclenchés presque instantanément de jour comme de nuit vouent toutes les tentatives d’attaque à un échec presque certain.

Le 26 au soir, je suis appelé chez le capitaine qui me dit un officier observateur a été tué aujourd’hui à la côte du Poivre et la 31ème doit en désigner un pour le remplacer, le lieutenant Martin très fatigué et aujourd’hui à l’observatoire nord de Souville, ne peut assurer ce service. J’ai demandé au commandant de vouloir bien me permettre d’envoyer un sous-officier observateur pour le remplacer. J’ai pensé à vous c’est encore une sale corvée. Départ demain matin à 4 heures, une auto vous prendra au pont du chemin de fer et vous conduira à Belleville, de là vous gagnerez à pied la côte du Poivre en passant par Bras. Je ne puis pas vous fournir d’autres renseignements sur l’observatoire. Je devais le chercher pendant trois heures après avoir failli tomber chez les Boches, les fantassins nouveaux venus de la veille étaient incapables de me fournir le moindre renseignement.
Vers onze heures du matin je découvre enfin ce fameux observatoire. A peine installé je vois des Boches qui sortent du ravin de la Couleuvre et du ravin de la Dame et par groupe de 8 à 10 se dirigent rapidement vers la ferme Thiaumont. D’autre part dans le ravin du Helly, que je distingue parfaitement à la jumelle, ce ne sont qu’abris de toute sorte au milieu desquels il y a un va-et-vient continuel de soldats allemands placés là en réserve. Sachant que ma batterie est en mesure de battre ces deux points ayant moi-même fait un tir vertical avec ma pièce les jours précédents sur le ravin de Helly, j’essaye de téléphoner à Verdun à l’Artillerie Divisionnaire. Impossible d’avoir la télécommunication. Les téléphonistes affectés à ce service sont, parait-il, partis réparer.
Une heure, deux heures se passent et je ne revois pas les hommes cachés dans quelque coin pas plus que je n’obtiens de communication. Je suis furieux car pendant ce temps les Boches continuent de passer et depuis onze heures il en est passé au moins 600 qui se massent sans aucun doute en vue d’une attaque dans la région de Thiaumont. La journée se passe et je repars sans avoir pu obtenir de communication téléphonique avec Verdun. A 6 heures du soir l’attaque se déclenche sur Thiaumont après un court mais terrible bombardement de 210, j’arrive donc trop tard à la citadelle pour faire au colonel Ct l’A. D. le rapport sur les observations de la journée. A 9 h du soir j’étais de retour à ma batterie très fatigué et très mécontent.
27 – La 3ème pièce est hors de service depuis ce matin ce qui ne nous laisse plus qu’avec 2 pièces, la 1 ère et la 4ème. Jusqu’au remplacement des pièces usées le service aux pièces restantes sera assuré par chaque équipe pendant 24 heures, ainsi le 28 à 6 heures du soir nous sommes relevés par le personnel de la 3ème pièce qui se repose depuis la veille. Nous avions tiré nous-mêmes jusqu’à 6 h moins le quart. A 6 h et demie le capitaine donne les éléments d’un nouveau tir au chef de la 3ème pièce.
A peine avaient-ils commencé à tirer que les obus boches se mirent à tomber en avant de la position se rapprochant un peu plus à chaque coup. A ce moment j’étais avec plusieurs de mes hommes dans notre abri quand une détonation formidable accompagnée d’un déplacement d’air, qui nous jeta tous les uns sur les autres, se produisit. Aussitôt après des cris de douleur, nous nous précipitons dehors où un spectacle épouvantable nous attendait.
Un gros arbre, qui se trouvait en arrière de ma pièce, avait les racines en l’air et en place d’une pile de 150 obus allongés qui était à son pied un énorme entonnoir. Tous les malheureux servants de la pièce tués ou blessés étaient étendus au milieu des décombres. Trois d’entre eux étaient morts, un autre avec une blessure affreuse aux reins avait déjà un teint cadavérique. Le brigadier se trainait en criant avec un bras brisé et un œil crevé. Deux malheureux pris sous un abri à poudre appelaient au secours. Le chef de pièce les cheveux, la barbe et les sourcils brûlés était tout pigmenté de noir et complètement hébété. Quelques instants après nous nous aperçûmes qu’au nombre des blessés et des morts nous ne retrouvions pas un des servants. Après avoir bien cherché aux alentours l’un de nous retrouva un pied c’est tout ce qui restait de notre malheureux camarade qui avait été absolument pulvérisé.
Les blessés furent transportés au poste de secours avant la nuit et les morts laissés sur des brancards pour être enlevés le lendemain, pendant la nuit une pièce neuve nous fut amenée pour remplacer la 2ème qu’on avait pu réparer. Il nous fallut à deux reprises changer nos morts de place pour permettre aux chevaux qui étaient au nombre de dix d’amener le canon jusqu’à son emplacement. Quel spectacle pénible que celui de ces malheureux jeunes étendus sur leur brancard ; leurs pauvres faces de cadavres et leurs uniformes en lambeaux semblaient plus impressionnants encore à la pâle lueur des lanternes. Les journées qui suivirent ce tragique 27 Juin furent un peu plus calmes ; l’artillerie boche aussi bien que la nôtre tira moins ce qui nous donna du repos dont nous avions le plus grand besoin.

Juillet 1916
10 Juillet – La veille au soir le bombardement allemand reprend terrible il se prolonge toute la nuit avec des asphyxiants tirés sur les batteries et au petit jour l’attaque se déclenche sur le fort de Souville ; ils réussissent à y prendre pied mais ne peuvent faire suivre leurs réserves qui sont arrêtées par nos tirs de barrage déclenchés aussitôt ; aussi dès huit heures la compagnie de chasseurs bavarois qui était sur le fort avait la totalité de son effectif tué ou prisonnier. Heureusement car la prise de Souville mettait notre batterie en mauvaise posture. Nous n’en étions qu’à quelques centaines de mètres. Les gaz asphyxiants nous encore fait des victimes et dans la matinée plusieurs de mes hommes sont évacués.
Ce fut le prélude d’une nouvelle mauvaise période et les journées qui suivirent furent encore très pénibles. Vers le 15 mon pointeur est blessé d’un éclat d’obus à la tête et plusieurs de mes hommes courbaturés et malades partent pour l’échelon.
Depuis quelque temps il a été créé un nouveau service de liaison d’Infanterie. Chaque groupe du secteur doit envoyer pour 48 heures un sous-officier et un téléphoniste au poste de commandement des Quatre Cheminées. Ce sous-officier doit se mettre à la disposition du colonel pour tous les tirs à effectuer dans ce secteur. Je suis désigné pour assurer ce service le 25 et 26 Juillet. La réalité doit se faire dans la matinée vers 8 heures.
Partis de la Batterie avec un téléphoniste à 6 heures, nous arrivions une heure plus tard au ravin de la Mort, c’était vraiment bien son nom. Les arbres et en général toute la végétation qui existait au début de cette année terrible avaient disparu. Seuls restaient quatre ou cinq troncs déchiquetés et partout de la terre noircie et retournée par les obus. Une malheureuse batterie de 75 qui, au moment de l’avance allemande, avait été placée là en position, avait été littéralement broyée. Les quatre affûts et les quatre caissons gisaient déchiquetés avec toutes leurs ferrures tordues.
Ce n’est pas sans un grand serrement de cœur que l’on songeait au triste sort des malheureux artilleurs qui servaient ces pièces. Plus loin nous traversons le ravin des Vignes, puis nous remontons la pente de Froide Terre qui doit nous amener aux Quatre Cheminées.
C’est partout un paysage de mort et de désolation, pas une touffe d’herbe ne subsiste, tout est broyé, retourné et pulvérisé ; il n’y a plus trace de boyau et les derniers cent mètres sont faits en rampant de trou d’obus en trou d’obus suivi par une mitrailleuse bien réglée qui fait sauter la terre à droite et à gauche enfin nous arrivons à une amorce de boyau refait dans la nuit puis c’est l’abri bétonné et enterré construit avant la guerre. Il est plein de fantassins qui sont couchés au fond de l’abri lui-même ou assis tout le long des marches laissant tout juste un petit passage pour le va-et-vient des coureurs.

Je me présente au colonel, commandant le secteur qui est installé dans un coin de l’abri. Mon rôle consistera à me tenir en liaison avec l’artillerie lourde par signaux optiques. Dans ce coin bouleversé sans arrêt par les gros obus il ne faut pas songer à utiliser le téléphone, l’entretien des lignes étant absolument impossible.
Nous trouvons, avec le téléphoniste qui m’a accompagné un petit coin où l’on peut s’asseoir tout près du projecteur, et il ne nous reste plus qu’à attendre les événements. Le bombardement est très violent pendant toute cette première journée et il continue une bonne partie de la nuit. Nous avons les honneurs du gros calibre 210 et 280. Heureusement l’abri est recouvert d’une bonne couche de terre, il tremble un peu à chaque coup qui arrive dessus et c’est tout.
Je passe ma nuit assis sur une marche le dos calé contre le mur. La journée du lendemain est légèrement plus calme pour la seconde nuit je réussis à m’étendre sur quatre fils de fer qui représentent une couchette, inutile de dire que j’y dors fort peu ayant assez à faire de conserver mon équilibre à 3 heures du matin les reins me font mal et j’abandonne mon perchoir qui reçoit immédiatement un nouvel occupant.
Une heure plus tard brusquement éclate une vive fusillade, les grenades claquent, deux mitrailleuses crépitent un coureur se précipite tout essoufflé dans l’abri «les Boches attaquent, les Boches attaquent». Les fantassins bouclent en hâte leurs équipements et montent occuper la tranchée, de notre côté nous sommes déjà à nos projecteurs réclamant un barrage. Cette petite attaque n’aura pas de suite les quelques allemands sortis ont été arrêtés devant la première ligne par des grenades bien dirigées, le tir de barrage qui est maintenant déclenché leur ôtera l’envie de recommencer ce matin-là.
A huit heures je suis relevé par un autre sous-officier, mes 48 heures étant écoulées le retour ne sera pas des plus faciles cette attaque matinale a agité le secteur et les Boches tirent beaucoup.
A peine sortis du bout de boyau que l’on refait chaque nuit et qui nous conduit à cent mètres nous sommes encadrés par des 77 qui tombent par rafales de deux ou trois tantôt en avant, tantôt en arrière, nous couvrant de terre à plusieurs reprises. Nous progressons lentement de trou d’obus en trou d’obus ne sachant trop quel parti prendre pour sortir de ce barrage. Enfin nous ne recevons plus des obus que par-derrière aussi sans perdre de temps, je vous assure, nous filons vers le ravin des Vignes et le ravin de la Mort.
Là nous faisons halte un instant pour manger un peu n’ayant rien pris depuis la veille, puis nous rejoignons la batterie. Les derniers jours de juillet nous sommes bombardés à la batterie. Les rafales de 105 se succèdent sans interruption pendant une heure et demie.
Le lieutenant et deux hommes sont blessés. Le premier par imprudence car rien ne l’obligeait à sortir de son abri à ce moment.

Aout 1916
Du 1er au 5 août nous attaquons presque chaque jour puis les Boches contre-attaquent, ce sont encore là pour nous des journées particulièrement pénibles.
Le 9 nous recevons l’ordre de quitter notre position du bois des Essarts pour remplacer une batterie du 81ème à tracteurs. Nous devons faire avec cette batterie un échange de pièces nous lui donnerons les nôtres et elle laissera les siennes en place. A 10 heures nous partons après avoir chargé sacs et matériel dans les chariots du parc, nous prenons la route d’Etain que nous devons quitter à une certaine distance pour prendre à droite la direction du fort de Moulainville. L’officier qui dirigeait la colonne trompé par l’obscurité ne prend pas la route de Moulainville et nous amène jusque vers les 3ème lignes d’infanterie où heureusement nous sommes arrêtés par un envoi de ravitaillement. Avec nos chariots de parc, seul le demi-tour s’exécute assez facilement et vers une heure du matin nous arrivions à notre nouvelle position et prenions les constantes de repère de nos nouvelles pièces. Ensuite chaque peloton prend possession de l’abri qui lui est affecté.
Nous déroulons nos couvertures et nous couchons mais impossible de dormir tant il y a de puces. Le lendemain la chasse s’organise, mais malgré une hécatombe de ces sales bêtes, il en reste toujours beaucoup et nous ne pouvons que difficilement fermer l’œil.
Même pendant la journée il nous arrive de nous déshabiller dans un coin du bois pour tuer celles qui sont dans notre linge. Ce supplice dure jusqu’à un certain jour de brouillard où nous sortons toute la paille de l’abri et la faisons brûler. Ensuite nous enlevons un peu de terre et remettons le lendemain de la paille fraiche.
Depuis le 7 ou 8 août Verdun devient un peu plus calme et le capitaine décide d’établir pour les hommes et les sous-officiers un tour de repos qui se prendra à l’échelon. Je suis très fatigué par le surmenage intensif de ces deux derniers mois et le capitaine m’envoie le premier. Je pars avec le chariot du parc qui a amené les vivres le 11 à onze heures du soir, à quelques centaines de mètres de la batterie alors que nous étions au grand trot sur la route les roues tombent dans un trou d’obus et je suis projeté comme une balle du haut de mon siège dans le fossé, par le plus grand des hasards je ne me fais pas une égratignure.
La fin août et le mois de septembre se passe dans un calme relatif en comparaison des mois d’enfer que nous venons de traverser. A part quelques salves de 105 et 150 surtout destinées à un boyau qui longe notre position la batterie n’est pas bombardée.

Septembre et octobre 1916
Le 25 septembre un de nos camarades le Maréchal des Logis Desbuisson qui avait presque miraculeusement échappé à l’accident terrible du 28 Juin qui nous avait coûté 8 hommes est tué en descendant au repos à l’échelon. La voiture des vivres attelée de 6 chevaux et amenée par un brigadier était repartie vers onze heures de la batterie avec Desbuisson. Un peu avant le Faubourg Pavé un obus éclate sur la route presque sous le chariot. Le maréchal des logis et le brigadier le haut de la tête emporté tombèrent morts dans la voiture, deux conducteurs furent grièvement blessés et deux chevaux tués, seul celui du premier attelage fut indemne et ramena comme il pût les morts et les blessés au premier poste de secours.
Vers le 15 octobre nous commençons à préparer les munitions et faisons quelques réglages en vue des prochaines attaques qui doivent avoir lieu avant la fin du mois.
A partir du 21 nous faisons des tirs de démolition sur les secondes positions aux abords du fort de Vaux.
Dans la soirée du 23 alors que venions à peine de terminer les Boches déclenchèrent un tir effroyable de 210 parfaitement réglé. Les premiers coups tombèrent en pluie dans la Batterie. Tous nous regagnons précipitamment nos abris pensant à une simple rafale mais le tir allemand se continua à la vitesse de quatre ou cinq coups à la minute. Tout à coup une formidable détonation se produisit accompagnée d’un déplacement d’air tel que nous fumes projetés les uns sur les autres tandis que deux de nos obus venaient s‘échouer à la porte de notre maison. Un de nos dépôts d’obus venait de sauter. Cinq minutes après cette première alerte un 210 s’écrasait sur notre abri pulvérisant trois épaisseurs de rondins sur les quatre qui le recouvraient. La moitié de mes servants se sauvèrent affolés par le boyau qui passait tout près des pièces. Le bombardement allemand ne diminuait toujours pas et durait depuis un quart d’heure déjà qui nous semblait beaucoup plus long qu’une heure en d’autres circonstances. Nouvelle détonation formidable suivie d’une lueur aveuglante quoiqu’il fasse grand jour, c’est 700 kg de poudre qui viennent de sauter, cette fois il y a malheureusement des blessés.
Un homme de la 4ème pièce se précipite terrifié dans notre abri en s’écriant notre cagna est écroulée et le Mal des logis Azière a disparu tous mes camarades blessés se sont sauvés comme ils ont pu au poste de secours. Malgré le bombardement je prends une pelle qui se trouvait à la porte et avec le chef de la 2ème pièce que j’ai pris au passage nous nous frayons un passage à travers les arbres abattus et les débris de toutes sortes qui trainent de tous côtés pour aller dégager Azière pris sans doute sous son abri. À peine arrivions-nous qu’un abri tombe sur la route nous couvrant de pierres, un second arrive tout près de la troisième pièce faisant voler au-dessus de nous qui sommes accroupis pour creuser planches et éclats. Nous arrivons entre deux rondins disjoints à pénétrer sous l’abri il est vide, c’est pour nous un grand soulagement. A peine remontés un obus tombé plus près encore nous précipite tête baissée dans l’escalier qui conduit chez le capitaine. Là infirmiers et major les mains pleines de sang font le premier pansement à quatre blessés qui n’ont pas pu gagner le poste de secours.
Après quelques instants nous quittons l’abri du capitaine suffisamment rempli par les officiers et les malheureux blessés, nous gagnons à la hâte l’abri de la 2ème pièce car le bombardement quoique moins violent continue toujours, nous y restons jusqu’à la tombée de la nuit, à ce moment les obus boches se faisant de plus en plus rares nous sortons pour inspecter notre malheureux emplacement de batterie et nos pièces. Ma pièce a été à moitié renversée, à la place de l’abri à munitions de la première section un entonnoir énorme produit par l’explosion d’une cinquantaine de nos obus, plusieurs arbres à moitié coupés et partout sur le sol des feuilles et des branches plus ou moins recouvertes de terre, la cuisine roulante éventrée et éteinte gît lamentablement sous son toit de feuillage renversé sur elle ; une de ses roues est cassée et les malheureux haricots ont reçu un assaisonnement peu ordinaire, tout à côté le tonneau de pinard qui a reçu deux éclats est à peu près vide, plus loin l’abri de la 4ème pièce ne forme plus à son entrée qu’un amas enchevêtré de rondins éboulés, entremêlés de planches et de sacs à terre déchiquetés. En arrière où se trouvait le dépôt de poudre un trou énorme dans lequel se trouve un gros frêne branches en bas et racines en l’air.
Enfin partout un spectacle de ruines bien triste à voir et de tout cela se dégage une odeur toute spéciale mélange de terre remuée de branches vertes pulvérisées, de poudre et de sang que l’on n’oublie plus après y être passé une fois. Les blessés ont pu être conduits au poste de secours et là les infirmiers retrouvent Azière complètement défiguré, il n’a plus ni barbe ni sourcils et la figure et le cou profondément brûlés. Quoiqu’il soit plus de huit heures, personne ne songe à manger, la plus grande partie des servants qui, affolés, sont partis dans toutes les directions regagnent peu à peu leurs abris et chacun prend sa place pour la nuit.
Le même soir notre capitaine proposait ses blessés et ses sous-officiers pour une citation. Le Commandant bien peu généreux en cette terrible circonstance où tous les sous-officiers avaient fait largement leurs devoirs en restant seuls sur la position n’en retient que deux celle d’Azière et la mienne qui sont acceptées.
Le lendemain 24 se déclenche dans la matinée la grande attaque destinée à reprendre les forts de Douaumont et de Vaux.
Un brouillard épais qui s’étendait partout depuis le matin va rendre la liaison bien difficile entre les divers éléments de la vague d’assaut. Nous sommes tout à fait isolés dans notre petit coin travaillant le plus rapidement possible à remettre nos pièces en état et continuer la préparation aux abords de Vaux. Toutes les batteries du secteur sont en pleine action et c’est un roulement ininterrompu avec de temps en temps l’arrivée d’un obus boche sur un boyau qui longe notre Bie remontant vers les premières lignes. Vers huit heures du matin 3 de nos pièces recommencent à tirer, nous aurons fait tout ce que nous aurons pu pour contribuer au succès de l’opération.
Malgré l’absence de nos dix blessés de la veille et de deux malades le service des pièces se fait aussi rapidement que possible et nous essayerons de rattraper le temps perdu. Ce n’est que vers 4 h du soir que les premières nouvelles nous parviennent. La ferme et l’ouvrage de Thiaumont ainsi que le fort de Douaumont sont pris mais en face de nous l’Infanterie a de grosses difficultés à avancer et ne progresse que très lentement et la nuit arrive alors qu’ils sont encore loin du fort de Vaux.

Les jours suivants la préparation d’artillerie continue suivie d’attaques qui réussissent en partie, nous rapprochant du but.
Serrés de près et perdant successivement leurs meilleurs points d’appui les Boches abandonnent le fort dans la nuit du 1er au 2 novembre. Nos fantassins après reconnaissance le réoccupent et le dépassent la nuit suivante sans rencontrer de résistance il n’y a plus personne ils ont abandonné leur proie.

Novembre 1916
Ce même 2 Novembre je pars en permission de 9 jours heureux d’échapper pendant quelque temps à cet enfer. J’obtiens difficilement ma permission à midi et je quitte aussitôt la position.
Il me faut faire 5 kilomètres à pied pour arriver à la ferme occupée par les agents de liaison. Je reconnais le cheval du planton de la Bie le hèle et au grand trot gagne l’échelon où j’arrive vers 3 heures (je n’avais pas de temps à perdre voulant arriver à Aubigny pour le mariage de Louis Carrier fixé au 4.
Après m’être débarrassé un peu de la boue et de la saleté dont j’étais recouvert je pars à cheval à Dugny où je dois prendre le train un conducteur m’accompagnera et ramènera ma jument.
Partis de Dugny à 6h et demie du soir nous n’arrivions à Révigny que le lendemain matin à la même heure, il nous avait fallu douze heures pour faire 50 kilomètres. Heureusement le reste du voyage s’effectue plus rapidement et après une seconde nuit passée en chemin de fer j’arrive à Aubigny le 4 à 8 h du matin 2 heures à peine avant la cérémonie. Je passe 9 jours à Aubigny et repars pour Verdun où je retrouve ma Batterie sur la même position. Au petit jour en arrivant à l’échelon un avion boche laisse tomber plusieurs bombes tuant sur la route un peu avant mon passage un fantassin qui comme moi rentrait de permission.
Le 21 Novembre à 4 h du matin c’est-à-dire en pleine nuit je pars avec un téléphoniste pour le fort de Vaux. Nous devons retrouver dans un P.C. des environs du tunnel de Tavannes des fantassins qui connaissent le chemin – (Il est très difficile même en plein jour de se guider au milieu de ce paysage lunaire). En effet rien ne subsiste pas une maison pas un tronc d’arbre pas une touffe d’herbes rien que trou d’obus sur trou d’obus beaucoup même sont pleins d’eau. Nous passons entre Souville et Tavannes laissant à gauche le bois du Chenois et arrivons au fond de la Horgne.
Il fait jour. Jusque-là il nous avait fallu marcher dans la nuit en suivant vaguement ce qui fut un boyau butant dans de vieilles souches tombant à plusieurs reprises dans les trous boueux quelquefois même sur un cadavre. La nuit est malgré tout assez calme mais plus nous nous rapprochons du fort plus les bombardements augmentent. Aussi, c’est au pas de gymnastique que nous faisons les derniers cent mètres. Le malheureux fort est complètement bouleversé. Les fossés comblés n’existent plus. Ce n’est partout qu’un enchevêtrement de tiges de fer tordues qui se dressent au milieu des blocs de ciment arrachés. Les trous d’obus l’ont transformé complètement – partout aux abords des cadavres allemands et français tombés côte à côte et qui sont déchiquetés un peu plus chaque jour par les obus qui sans arrêt martèlent le fort. Nous nous engouffrons à l’intérieur par une petite porte qui donnait sur les fossés. Une odeur à laquelle on met un certain temps à s’habituer vous surprend en entrant. La plupart des couloirs souterrains sont intacts ainsi que les chambres de repos qui y prennent accès. Nous nous installons dans une pièce assez grande qui avait été aménagée par les Boches. La moitié est occupée par des lits superposés faits de treillage.
La plupart ont déjà des occupants mais il en reste heureusement de disponibles pour mon téléphoniste et pour moi. Je fais ensuite une petite visite du fort avec le sous-officier que je relève. Toutes les tourelles sont plus ou moins démolies. Et c’est une tourelle de mitrailleuse qui nous sert d’observatoire. Mon rôle, pendant les deux jours que je passerai au fort, sera de signaler les batteries allemandes tirant de la plaine de la Woëvre.
La voûte d’une des chambres de repos souterraines a été fendue par un de nos obus de 400 alors que les Boches occupaient le fort.
Cette vie sous terre pendant quarante-huit heures n’a rien de drôle. Elle se divise en stage à l’observatoire en repos et en sommeil.
Les ravitaillements d’Infanterie qui se font de nuit entre 8 et onze heures sont de plus en plus difficiles. Bien rares les corvées qui arrivent au complet. Presque toujours ils ont laissé quelqu’un des leurs sous les tirs de barrage.
Les hommes couverts de sueur et de boue se précipitent les yeux hagards à l’intérieur du fort et se laissent tomber exténués dans les couloirs n’ayant même plus la force de se débarrasser des bidons de vin ou des boules de pain qu’ils ont apportés. Quel calvaire pour arriver jusqu’ici ou pour en repartir pourtant nous voilà à la fin de notre seconde journée et il va falloir songer à quitter notre souterrain où tout au moins on est à l’abri. Les coups sourds des éclatements qui se succèdent sur les voûtes du fort nous rappellent qu’il y a une zone dangereuse à franchir. Enfin il est décidé que nous quitterons le fort à 1 h du matin avec une relève d’infanterie.
A l’heure dite nous sortons derrière les fantassins. Le temps est noir, il pleut, des fusants éclatent à gauche et en avant. A peine sorti mon téléphoniste tombe dans un trou d’obus plein d’eau en l’aidant à se sortir de là je casse un de mes lacets de soulier, incident banal direz-vous, pas du tout le terrain détrempé par la pluie est gluant et mon soulier s’arrache de mon pied. J’essaye de le remettre mais impossible mes mains n’ont aucune prise sur ce bloc de boue. Il ne me reste plus qu’à traîner mon pied et suivre au son la colonne qui me précède et qui me gagne de plus en plus de terrain. Je ne connais pas du tout ma route et si je perds les fantassins je serai réduit à passer la nuit dehors sous la pluie et les obus. Enfin ceux qui me précèdent, arrivés à un mauvais boyau, s’étaient arrêtés pour faire la pose ce qui m’avait permis de les rejoindre. J’arrive alors à reficeler mon soulier et nous arrivons quelques instants après au tunnel de Tavannes.
Malgré le froid et la pluie j’avais grand’soif et le reste des bidons n’alla pas plus loin. Après nous être restaurés nous continuâmes vers la batterie où nous arrivions vers 4h et demie du matin complètement trempés.

Le 29 Novembre nous changeons de position de Batterie. Nous nous installons au sud de Tavannes sur une ancienne position de 75. C’est ce qui fut le bois des Hospices, on ne le dirait guère car nous sommes là en pleine zone dévastée ; il ne reste même pas de vestiges de tronc d’arbre ce n’est, comme partout ailleurs que trous d’obus dans trous d’obus. L’emplacement a beaucoup souffert et il nous faudra travailler ferme pour placer nos pièces et réparer un peu les abris.

Décembre 1916
Les premiers jours de décembre nous faisons quelques tirs d’accrochage puis silence complet jusqu’au 13 où nous recevons des instructions : ordres de tir jusqu’à l’heure H qui est 14 heures. Mais ce n’était qu’un simulacre pour découvrir les batteries boches. Le stratagème réussit parfaitement et permit d’identifier un grand nombre de batteries qui furent contrebattues très efficacement pendant la journée du lendemain.
Le 15 l’attaque réussit parfaitement. Ce fut la reprise de Louvemont Hardaumont. Enfin après 7 mois passés dans l’Enfer de Verdun nous quittons la positon le 27 Décembre pour regagner l’échelon au bois Laville.
Le lendemain il est mis un peu d’ordre dans nos équipements et notre matériel les voitures sont chargées et le 29 nous quittons l’échelon avec beaucoup de difficultés à cause de la boue, il faut doubler les attelages et pousser aux roues pour sortir sur la route les pièces et les chariots.
Le but de la première étape est Vaubecourt.
Je fais le logement avec le fourrier – la pluie tombe une partie de la matinée. Nous séchons en faisant le cantonnement.

Le 30, départ pour Révigny où nous embarquons dans la soirée. Nous passons par Vitry- le-François – Château-Thierry – Mareuil/Ourcq –Montdidier et Amiens. Le 31 au soir nous débarquons à St Roch pour cantonner à Rivery un faubourg d’Amiens.











- 1917 -

Janvier 1917
Position de repos dans la région d’Amiens
Nous y séjournons pendant 20 jours installés dans des baraques Adrian. Malgré un léger chauffage ces constructions en bois ne sont pas chaudes et nous avons de nombreux malades pendant cette période. Avec un camarade le Mal des logis Lestage (Lessage ?) je partage une chambre chez un charcutier; nous y sommes fort bien; malheureusement il me faut moi aussi payer mon tribut à la grippe et je passe au lit avec la fièvre mes derniers jours de repos. Malgré les grogs au rhum je ne suis pas encore très d’aplomb pour notre départ qui a lieu le 21 Janvier.

Janvier à mars 1917 : pérégrinations d’Amiens au Chemin des Dames
Le temps s’est mis au froid et il y a une bonne gelée ce matin-là. Je fais à nouveau le logement ; nous quittons Rivery à 6 h et demie pour Lœuilly (18 kilomètres). Le pays offre peu de ressources et nous couchons tous à la paille.
Le lendemain 22 nous partons avant le jour car l’étape sera longue et difficile. Il a gelé très fort cette dernière nuit et comme dans la soirée d’hier la neige était tombée les routes sont verglacées. Malgré les crampons nos chevaux glissent et il est absolument impossible de trotter sur le milieu de la chaussée. Les 44 kilomètres que comptait l’étape se font au pas coupés de quelque temps au galop à travers champ. Les grosses difficultés sont pour la batterie qui nous suit ; une première côte à 2 kilom. de Loeuilly devait les retenir de 8 h à 11 heures du matin. Il fallut défaire des tas de fumier gelé placé qui se trouvait dans un champ voisin et de l’épandre sur la route pour que les chevaux puissent monter. Le reste du voyage n’alla pas mieux et ce n’est que vers huit heures du soir que tout le monde était réuni à Quinquempoix. Il avait fallu 14 heures pour couvrir ces 44 kilomètres. Tous, hommes et chevaux, étaient rendus de fatigue. Je trouve un lit dans une ferme où nous avons également notre popote. Le lendemain nous faisons séjour ; cette journée de repos est bien accueillie par tous.
Le 24 Quinquempoix - Lamécourt ( 24 kilomètres). Le capitaine qui n’a pas suivi l’itinéraire prescrit mais a emprunté une autre route suivant la vallée ne trouve presque pas de verglas ce qui permet de faire le trajet assez rapidement. A midi tout est en place et vers 1h et demie quand la Batterie Mercier traverse Lamécourt pour rejoindre son cantonnement tous nos hommes ont mangé. Etant parti le premier c’est une surprise pour le capitaine Mercier de nous trouver là complètement installés.
25 – Lamécourt-Aumont (38 kilomètres). Le logement dont je fais partie a quitté Lamécourt à 6 h du matin pour préparer le cantonnement dans un village tout proche de Chantilly. Arrive le contrordre. De nouvelles instructions doivent nous être données à Chantilly. Nous arrivons vers onze heures et nous attendons jusqu’à 1h et demie avant de recevoir une nouvelle destination.
Nous profitons de ce répit pour déjeuner plus confortablement. Ensuite départ pour Aumont où nous n’arrivons qu’à loger les hommes et quelques chevaux. Le manque d’écurie et de granges nous oblige à mettre la plus grande partie de notre cavalerie dehors à la corde. Les pauvres bêtes seront bien mal car le froid s’accentue chaque jour. Les fontaines du village ne sont plus que des blocs de glace desquelles il est presque impossible d’approcher. Ma jument boit presque assise. Avec tous ces changements il fait nuit avant que tout le monde soit casé. J’ai trouvé pour moi une chambre chez une vieille personne qui me permet de faire ma toilette dans sa cuisine ; il fait bon auprès de la cuisinière et j’en profite pour faire un nettoyage sérieux. Notre popote installée chez l’adjoint du pays est également confortable. Nous avons une salle à manger bien chauffée et notre cuisinier ayant réussi à acheter deux lapins nous faisons un bon diner bien accueilli par nous tous qui avons fait par ce grand froid près de 50 kilomètres à cheval.

Le lendemain 26 le froid est toujours aussi vif et il ne fait pas encore jour quand nous montons à cheval pour préparer le logement à Othis petit village situé à 25 kil de Paris.
L’étape est de 30 kilomètres et la batterie n’arrive qu’assez tard dans la soirée. Le pain et le vin sont gelés et les hommes du ravitaillement sont obligés d’allumer de grands feux pour dégeler les tonneaux. Je trouve dans une auberge du pays une chambre dans laquelle on me fait un bon feu moyennant trois francs par jour. Cela fait plaisir par ce froid intense d’autant plus que faisant séjour j’en profiterai de mon bon feu pendant 2 nuits.

Le 28 Othis- Penchard 20 kilomètres – il fait un peu moins froid.
29 Penchard - Dammartin sur Tigeaux (Dammartin en Brie) (28 kil). Le village est un peu plus important que ceux occupés précédemment et le logement est assez facile. Les officiers installés au château ont une salle à manger superbe – pièce très vaste avec de riches boiseries. Ils profiteront peu de leur belle résidence une soirée et une nuit et le lendemain départ pour Pécy ( 25 kil) – pays de culture peu important.
Le 31 – Pécy – La Bretonnière, commune de Rouilly, ( 28 kil) – petit village à quelques kilomètres de Provins que nous traversons le lendemain en nous rendant à Saron-s-Aube. Toute cette contrée est extrêmement giboyeuse et un moment donné de la route que nous suivons nous comptons de chaque côté de nous vingt lièvres ensemble qui trottent dans la plaine. Nous sommes enfin arrivés à notre lieu de repos. Nous y passons une période assez tranquille. Quelques revues, quelques mises en batterie et c’est tout.
Beaucoup parmi nous tentés par l’abondance du gibier se sont mis à chasser. De ce fait l’ordinaire est amélioré par les lièvres qui sont mangés tous les jours à toutes les sauces. J’ai un assez bon lit dans une maison abandonnée par ses propriétaires.
Le 15 Février je pars en permission de 7 jours.
Je rejoins ma batterie le 25 en passant par Paris.
Du 26 Février au 8 Mars période assez agréable entre Romilly et Saron ( A noter à titre de curiosité l’adresse originale des gens de la localité que nous occupons Saron-s-Aube par Romilly-s-Seine – Marne)

Mars 1917 : le Chemin des Dames
Tout a une fin les bons jours comme les mauvais et le 9 Mars il nous faut reprendre le collier de misère. Il fait froid quelques flocons de neige voltigent. Je continuerai à faire le logement.
L'étape sera longue, 38 kilomètres, pour arriver à Clos-le-Roi petit village situé en bordure d’une forêt. Malgré son peu de ressource j’y trouve un lit que j’apprécierai d’autant plus que nous y passons 4 jours avant de continuer plus avant. Nous y sommes bien.
Le 14 Clos-le-Roi à Montceaux-lès-Provins – 22 kil.
Nous sommes ici dans un pays démoli pendant la bataille de la Marne. Dans toute cette région le dégel joint à une circulation intense a défoncé les routes aussi nos étapes seront-elles très courtes.
Le 15 le groupe va de Montceau-les-Provins au Vézier. De là notre batterie sera répartie dans trois villages – Le Moncetz - Le Chêne – La Rue de Noise.
Travail difficile pour le logement. Avec les allées et venues inévitables pour caser tout notre monde nous faisons au moins 30 kilomètres à cheval dans une étape qui en comptait à peine 16. Sur la demande du capitaine qui trouve très incommode cette division nous nous rendons à Montenils (4 kil) où nous sommes très groupés. Le pays est très giboyeux et pendant les deux jours que nous y passons nous mangeons 5 lièvres.
Le 19 Montenils - Fossoy (21 kil)
Le 20 Fossoy – Courmont (12 kil). Les routes défoncées par le dégel et les passages continuels de troupes obligent souvent à doubler les attelages sur certains tronçons aussi mauvais que des chemins de terre.
21 Courmont - Dravegny (12 kil). Nous faisons séjour – nullement enchantés d’ailleurs car tous ces derniers cantonnements sont très mauvais. Les pays peu importants n’offrent aucune ressource et les gens sont excédés par le passage ininterrompu de troupes se dirigeant vers le Chemin des Dames.
23 – Dravegny – Baslieux-lès-Fismes (12 kil) – ici sera notre échelon. Dans la nuit du 24 au 25 nous quittons Baslieux-lès-Fismes pour Vassogne. Les routes sont très encombrées et obligent à de fréquents arrêts. La nuit est heureusement calme et nous arrivons lentement mais sans encombre au village de Vassogne. Notre position est à la sortie ouest du village aux dernières ruines car pas une seule maison n’est intacte. Les pièces sont mises en batterie. Dans les journées qui vont suivre chaque peloton de pièces creusera son abri. Nous avons touché quelques rondins que nous recouvrirons un peu chaque jour de grosses pièces de démolition

Mars et avril 1917
Du 24 Mars au 15 Avril – Période assez agitée. Nous faisons plusieurs réglages sur les tranchées boches mais nous sommes très souvent survolés par les avions à croix noire qui finissent par repérer notre position. Aussi subissons-nous à diverses reprises des marmitages assez violents. Plusieurs obus tombent sur la batterie.
16 Avril – Attaque à gros effectif après une longue même trop longue préparation d’artillerie. Dès les premières heures du jour des régiments entiers d’infanterie déployés à travers champ montent vers les lignes pour relever les unités engagées et poursuivre le succès. Je n’ai pas encore vu un aussi grand déploiement de forces. Dans la matinée nous voyons descendre quelques prisonniers mais surtout de nombreux blessés. Les fantassins se sont heurtés à des positions formidablement organisées et ils ont laissé bien des leurs sur le terrain pour ne réussir qu’à prendre les deux premières lignes de tranchées. Il leur est impossible ensuite de déboucher plus avant. Cette journée du 16 qui avait débuté par un superbe lever de soleil se terminera par un temps brumeux et couvert. Ce fut le reflet de cette sanglante bataille qui nous coûta tant de vies.
Nous pensions coucher à Laon et la nuit arriva alors que nous n’étions qu’à quelques vingtaines de mètres de nos parallèles de départ. L’affaire était manquée et les jours qui suivirent ne nous procurèrent que des résultats partiels de peu d’importance.
En ce qui nous concernait particulièrement les Boches occupés ailleurs nous laissèrent plus tranquilles jusque vers le 28.
Passé cette date le bombardement reprit dans le secteur.
Le 29 en venant ravitailler deux chevaux sont tués et un conducteur blessé. Les jours suivants les Boches nous envoient quelques obus de 305 qui heureusement sont un peu longs et tombent dans un pré qui se trouve à une centaine de mètres en arrière de la batterie ; puis pour varier le plaisir ils intercalent entre temps quelques asphyxiants.

Mai 1917
Le 5 Mai nouvelle attaque sans grands résultats.
Je retrouve Rimbault et Broudeau (** famille à Yvoy le Pré) dont la batterie (lieutenant Huaux un ancien Mal des logis du 8 è) se trouve un peu en avant de la nôtre. Les deux jours qui suivirent cette attaque furent un peu plus calmes mais n’eurent pas de lendemain un violent bombardement repris aux abords de la batterie et sur le village de Vassogne. Du 12 au 15 notre batterie reçoit plusieurs obus qui ne nous causent heureusement que des dégâts matériels – les plus mal placés avaient eu la bonne idée de tomber pendant la nuit alors que nous nous trouvions dans nos abris.

Le 20 Mai c’est au tour des Boches d’attaquer après une forte préparation d’artillerie de gros calibres accompagnée de gaz asphyxiants ils essayent de reprendre leurs tranchées perdues ils ne réussissent pas. Furieux de leur échec ils bombardent sans arrêt toute la région que nous occupons.
Les 22-23 et 24 furent des journées très dures.
Le 23 au soir après deux heures d’un tir particulièrement violent de 150 et de 210 qui avait bouleversé toute notre position démolissant plusieurs abris nous reçûmes l’ordre d’évacuer la batterie.
Tous se dirigèrent vers les creutes (sorte de cavités naturelles) qui se trouvent à notre gauche. Vers 9 heures du soir le tir boche ayant cessé je regagne mon abri avec Beaume un vieux morvandiau chargeur à la pièce les autres servants très émotionnés par ce pilonnage de gros calibre ne reviennent pas encore. A onze heures alors que nous étions couchés tous les deux dans notre abri le tir allemand reprit et ne cessa que le lendemain 24 à 5 heures du soir. Ce fut pendant 30 heures sur nous, sur le village et ses abords un bombardement ininterrompu de 210 et 150.

26 – Je monte aux tranchées boches nouvellement conquises – par extraordinaire la journée est assez calme. Mais quelle zone de désolation. Ce ne sont que trous d’obus dans trous d’obus ; pas une parcelle de terre qui n’ait été tournée et retournée – partout des fusils cassés, es équipements abandonnés, des caisses de cartouches éventrées et entre les lignes des cadavres français et allemands gisent en grand nombre - il est impossible de les ramasser et de les ensevelir tant le bombardement est violent puis les mitrailleuses battent sans arrêt cette zone de mort. Tout en ayant peu progressé nous avons acquis de bons observatoires qui seront d’une grande utilité si nous devons entreprendre de nouvelles opérations.
Les obus de 105 nous accompagnent pendant une bonne partie du retour. Je me réfugie à la batterie de Rimbault pendant quelques instants laissant passer deux ou trois rafales particulièrement violentes.
Le 27 - Le marmitage reprend un peu moins intense peut-être ; il nous laisse quelques heures d’accalmie dans la journée.
28-29 – Journées calmes – Nous pensions avec plaisir que les Boches avaient tourné leur rage d’un autre côté mais à 7 heures du soir le bombardement reprit plus violent que jamais et dura toute la nuit – toutes les dix minutes quelquefois un peu plus d’autres fois un peu moins un 150 ou un 210 s’abat sur notre batterie nous secouant sur nos couchettes et faisant écouler un peu de terre à chaque éclatement.
Si un de ces gros obus s’abat sur notre batterie c’est la fin nous serons broyés et enterrés. Impossible de dormir avec cette menace continuelle et le bruit des éclatements.
Le 30 - Le jour se leva mais le pilonnage continuait toujours et se poursuivit sans arrêt toute la journée. Il nous fallut cependant tirer dans l’après-midi et toute l’autorité des chefs de pièce était nécessaire pour maintenir les servants à leur poste ; les éclats sifflaient de tous côtés ; par un hasard providentiel personne n’est touché.
A chaque repas chacun choisissait le moment qui lui semblait le plus favorable entre deux rafales prenait sa gamelle touchait vivement sa pitance et revenait se terrer pour manger soupe et bouilli.
Le 31 - Le bombardement est un peu moins intense mais malgré tout à différentes reprises nous recevons des salves de percutants et de fusants qui criblent d’éclats la batterie et des abords.

Juin 1917
Le 1er Juin le tir reprend avec violence vers trois heures du matin et dure sans arrêt toute la journée pour atteindre vers six heures du soir un degré de violence extraordinaire. La nuit du 2 est elle-même assez agitée et pendant toute la journée il est impossible de circuler en dehors des abris par suite de la grande quantité d’obus tirés fusants. Jusqu’à sept heures du soir il ne se passe cinq minutes sans une rafale ; puis c’est ensuite le grand calme qui semble bon après ce pilonnage ininterrompu. Nous nous couchons avec l’espoir de dormir enfin tranquilles ; mais à onze heures le marmitage reprend avec des obus asphyxiants. Nous plaçons à l’entrée le cadre de bois tendu d’une toile destinée à empêcher les gaz de pénétrer – puis quelques instants après l’un après l’autre nous quittons nos masques et nous nous remettons sous nos couvertures. Vers une heure du matin Baume un de nos chargeurs originaires du Morvan dit à haute voix « j’cré ben qu’ça sent les gaz ». En effet un obus tombé dans l’escalier avait renversé la porte et notre abri s’était rempli de gaz. Je donnai l’ordre immédiat de mettre les masques , il était déjà un peu tard car pour mon compte personnel j’en respirai deux ou trois gorgées qui me firent tousser à un point tel que je ne pouvais plus rester sous mon masque ayant à choisir entre l’asphyxie par les gaz ou l’asphyxie par suffocation. Je passai là un bien vilain quart d’heure. Je réussis pourtant peu à peu à reprendre haleine sous mon masque. J’avais pourtant un sérieux mal de tête à la suite de cette nuit agitée et je le conservai toute la journée ne pouvant rien manger. A 5 heures du matin attaque boche en face de nous mais sans résultat. On a estimé à plus de dix-huit mille le nombre d’obus asphyxiants tirés pendant cette nuit du 3 Juin dans la vallée que nous occupons et qui s’étend tout au plus sur un front de 2 kilomètres avec une largeur de 200 mètres à peine.
4 Juin – Le bombardement commence dès le matin avec obus de gros calibre. Nous avons déjà plusieurs coups en plein sur la batterie quand à 8 heures un 210 s’abat sur ma pièce broyant l’affût.
L’abri est rempli de fumée et de débris de toute sorte mais personne n’est blessé heureusement.
Le 5 – Bombardement un peu moins intense continuel néanmoins toute la journée du 6. Le 7 et le 8 sont un peu plus calmes. Mais le 9 est encore particulièrement dur et il tombe environ 400 obus autour de nous.
Ce pilonnage continuel finit par fatiguer les corps les mieux trempés.
On ne dort plus ou peu et on n’a même pas une minute de tranquillité pour parler (sans parler d’autres choses).
Les évacuations sont nombreuses depuis quelques jours et pour mon compte personnel je suis très mal en point souffrant beaucoup d’hémorroïdes.
Le 11- Le colonel commandant l’Artillerie vient nous passer en revue sur la position même.
Le 13 le major m’évacue à l’échelon.
Le 15- Mon brigadier est blessé ainsi qu’un téléphoniste (ce dernier a un œil crevé par un petit éclat).
Le 17 – Le bombardement reprend plus intense si possible que précédemment ; ils augmentent leur calibre et tirent avec du 280 et du 305. Courly notre infirmier et Hermann, le planton qui assure la liaison entre la Batterie et l’échelon sont grièvement blessés par un gros obus qui a démoli aux trois quarts leur abri. Les deux malheureux garçons sont retirés des décombres au prix de grosses difficultés sous un violent marmitage qui dure jusqu’au soir. Je pars en permission de sept jours.
Le lendemain 18 la batterie change de positon ; les pièces sont mises sur roues pendant la nuit sous le bombardement qui se prolonge jusqu’au matin. Au moment du départ les hommes s’aperçoivent de la disparition de Lefèvre qui couchait seul dans un petit abri qu’il avait fait lui-même. L’abri est complètement écrasé. N’ayant reçu aucune réponse de lui et les obus boches continuant de pleuvoir de plus belle on demande à la 30ème Batterie qui reste en place de vouloir bien le dégager – il est retiré le lendemain avec la tête complètement broyée. Le nouvel emplacement est occupé très peu de temps
le 27 - La batterie quitte la région. Elle embarque à Fère en Tardenois et débarque à Villers-Daucourt tout près de Ste-Menehould.
30 Juin – A mon retour de permission je me rends à Fismes notre gare de ravitaillement. Là renseignement pris, on m’annonce que ma batterie a quitté le secteur et on me dirige sur Le Bourget. A mon arrivée ici on n’a aucun ordre me concernant et je passe ma journée entre Paris et
Le Bourget.
Juillet à septembre 1917
Le 2 Juillet on m’envoie à Chaumont. J’y passe la journée.
Le 3 - Je quitte Chaumont pour St Dizier. Là j’apprends enfin que je dois rejoindre ma batterie à Belval (en-Argonne) où elle est en repos.
C’est un petit village de peu d’importance où nous restons jusqu’au 11. Ce jour-là à 6 heures du matin départ pour Vally.
Le 13 à une heure et demie du matin nous partons pour Bois-Lecomte qui sera notre échelon. Dès les premières heures la 2ème section (3 ème et 4 ème pièce) monte dans les chariots de parc et s’en va préparer notre nouvelle position sur la rive gauche de la Meuse.
Le 11 - Ma section rejoint à son tour le nouvel emplacement ; mais un peu fiévreux et souffrant beaucoup d’hémorroïdes je reste à l’échelon.
Le 16 le major m’évacue. Un fourgon me conduit à Brocourt (en-Argonne). Un quart d’heure à peine après mon arrivée une ambulance automobile m’emmène à Julvécourt.
L’ambulance est constituée d’une série de baraquements en bois dans laquelle les malades sont mis en observation. Suivant leur cas ils s’y reposent quelques jours pour être renvoyés ensuite à leur unité ou on les dirige sur un hôpital de l’arrière. C’est cette dernière solution qui est prise pour moi et le 18 je suis évacué sur l’H.O.E.(11 B) de Fleury (sur-Aire).
Le lendemain je prends le train sanitaire qui m’amène à Chaumont le 20 à trois heures et demie du matin je suis envoyé à l’hôpital complémentaire n°28 – Pavillon Percy – salle 10 bis.
Le petit traitement auquel je suis soumis ne m’apporte aucune amélioration et je souffre de plus en plus. Cet hôpital qui est très important doit avoir une bien mauvaise gérance car nous y sommes on ne peut plus mal nourris. Aussi est-ce avec grand plaisir que je pars à l’Hôpital Mixte pour y être opéré.
Le 28 est une journée qui comptera, opéré à 8 h et quart le matin je souffre terriblement jusqu’au soir.
Du 28 Juillet au 13 Septembre - Je suis en traitement à l’Hôpital Mixte.
A Chaumont je retrouve Bazin avec lequel je passe quelques soirées ; nous faisons de petites promenades aux environs dinant en ville 4 ou 5 fois ce qui change un peu de l’ordinaire de l’Hôpital qui n’est du reste pas mauvais (aucune comparaison avec le Complémentaire où j’ai passé quelques jours auparavant)
Le 13 septembre je pars pour Aubigny avec un congé de convalescence de 15 jours. Je profite de cette permission pour chasser un peu mais les forces ne sont pas complètement revenues et je me fatigue vite.

Octobre/Novembre 1917 : Gazé au Chemin des Dames et Hospitalisé
Le 2 octobre – Je repars d’Aubigny et couche le soir à Paris que je quitte le lendemain pour St-Dizier.
LE 4 - On me renvoie de Saint-Dizier au Bourget pour y être habillé.
Parti à 4 heures du soir j’étais à 10 heures à Paris.
Dans la journée du 5 je rejoins Le Bourget. J’y suis équipé et le soir à 10 heures je pars pour Braisnes où je retrouve notre train réglementaire qui m’amène à l’échelon.
6 au soir et 7 – Je reste à l’échelon installé sous la tente entre Chassemy et Vailly. Nous sommes dans un bois c’est-à-dire à peu près cachés à la vue des avions.

Le 8 - Je monte à la position dans le ravin d’Ostel.
Ma première impression est nettement mauvaise. C’est la plaine sans aucun couvert et les 1ères lignes boches sont à 8000 mètres. Les abris sont inachevés et l’installation est forcément très sommaire. Il nous faut coucher sur les planches dans les escaliers de sape en construction.
Du 8 au 13 – Nous ne recevons que quelques obus aux environs de la Batterie – il est bon d’ajouter que jusqu’à ces derniers jours nous n’avons que peu tiré. Quelques réglages et c’est tout ; mais toute cette terre remuée à si petite distance des lignes ne tardera pas à nous attirer un bombardement.

Le 14 – Je sentais que notre tranquillité relative touchait à sa fin et je ne me suis pas trompé. Le groupe entier est bien repéré et violemment bombardé avec du 21 à retard. C’est pendant 3 heures un arrosage en règle en avant et en arrière des pièces les obus s’enfoncent profondément creusant d’énormes entonnoirs. A chaque coup nos abris tremblent et des blocs de terre et de pierre se détachent à chaque instant. La 2ème pièce de la 30ème Batterie qui se trouve sur le même alignement que nous est fortement endommagée par un 210. Heureusement les servants sont à l’abri et de ce fait il ne se produit aucun accident dans le personnel – (****Ajout postérieur à l’écriture dégradée) Le capitaine de la 30ème Batterie est tué.

Le 16 - Le bombardement reprend avec obus de 150 et atteint entre 17 et 18 heures une intensité extraordinaire. Pendant cette heure nous comptons 550 coups sur la batterie. Le tir qui nous a surpris alors que nous allions chercher notre soupe à la cuisine roulante nous interdit tout retour à nos abris et nous oblige à rester pendant tout ce temps sous les quelques planches et branchages qui abritent la popote.
Les éclats sifflent de tous côtés et les quelques pelletées de terre qui recouvrent l’abri tombent en poussière fine à chaque arrivée d’obus empêchant toute velléité de manger.

Enfin la nuit arrive et les Boches consentent à nous laisser tranquilles.

Le 17 et le 18 – Quelques 105 dans la journée et pendant la nuit les 77 se succèdent sans arrêt détériorant nos armements de pièces et brûlent deux caisses de poudre.
Comme tous dorment au fond des sapes nous n’avons aucun blessé.

Dans la nuit du 19 au 20 je suis réveillé par mon brigadier vers 2 heures du matin. Je crois me dit-il que les Boches nous envoient des gaz. Pensant qu’il avait peur et que c’était un effet de son imagination je commençai par ne pas répondre. Voyant qu’il y revenait quelques instants après je finis par dire avec mauvaise humeur : « Si vous avez peur mettez la porte et laissez-nous dormir ». Ce qui fut fait.
Réveillé de bonne heure je sortis de la sape à 6 heures et demie pour jeter un coup d’œil à l’ensemble de la batterie. Le soleil se levait et le temps était superbe une petite gelée couvrait d’un manteau blanc toute la vallée le plus grand calme régnait. Pas un coup de canon ni chez ceux d’en face ni chez nous. A peine sortis je me rendis compte que nous avions été en effet bombardés par obus à gaz pendant la nuit. Les petits trous significatifs et très nombreux me montraient qu’ils avaient été généreux dans la distribution de leur sale marchandise. Ils ne s’étaient pas trompés d’adresse et leur tir était parfaitement dirigé sur nos pièces. La caisse aux armements de la 2ème pièce était brisée et le boyau reliant la 3ème à la 4ème éboulé à deux endroits.
Une heure plus tard tout le personnel réuni à la distribution du café prouvait qu’aucun de nous n’avait été touché ou incommodé.
La matinée se passe à réparer les quelques petites avaries de la nuit et le soleil aidant tous firent honneur à la soupe vers onze heures.
A une heure de l’après-midi trois hommes de la 4 ème pièce commencent à être malades. Leurs yeux sont très enflammés et pleurent puis ils vomissent leur déjeuner. Le major les évacue. A cinq du soir les trois quarts de la pièce avaient été dirigés sur l’ambulance ; puis ce fut le tour de ceux de la 2ème pièce, de la 3ème pièce des téléphonistes et des cuisiniers.
Vers 6 heures du soir après avoir mangé je commence moi-même à ressentir l’effet de l’ypérite. Les yeux me cuisent terriblement puis quelques heures après je suis pris, quoique couché, d’un violent mal de tête. A minuit je n’ai que le temps de remonter précipitamment du fond de la sape pour vomir mon diner. Je ne dors pas de la nuit et le lendemain je suis conduit à la visite vers 7 heures. Mes yeux sont complètement fermés et je me dirige difficilement seul.
Les trois quarts de l’effectif restant encore sur la position sont chez le major. Je suis évacué avec 38°5 de fièvre. Nous partons 15 de la batterie par petits groupes. Je suis envoyé moi-même avec 4 hommes au poste de secours d’Ostel.
Bras dessus bras dessous nous nous dirigeons comme nous pouvons car c’est à peine si nous pouvons ouvrir les yeux tellement ils nous font mal. Arrivés au premier poste de secours il nous faut, toujours à pied, continuer jusqu’à l’ambulance de Cys-la-Commune où nous arrivons vers midi. Là nous sommes rassemblés par un infirmier qui nous emmène dans une péniche transformée en infirmerie spéciale pour gazés.
Tout notre linge et nos vêtements nous sont retirés et on nous lave les yeux et la gorge après avoir fait une distribution complète de linge propre et de vieux vêtements.
Vers cinq heures du soir une ambulance nous conduit à Braisnes où nous subissons un second lavage et où on nous donne à boire un peu de lait concentré.
Vers 10 heures du soir une automobile vient nous prendre et nous conduit à l’hôpital d’évacuation à Mont-Notre-Dame où nous sommes l’objet de nouveaux soins. Cet hôpital comprend de vastes baraques Adrian dans lesquelles on a placé des couchettes en bois avec des couvertures. Au milieu de grandes tentes Bessonneau où sont installés tables d’opérations et de pansements avec logement des médecins et infirmiers. Tout cela est situé tout contre la ligne de chemin de fer.

Après avoir passé la nuit dans une de ces baraques nous prenons dans la matinée le train sanitaire qui nous amène vers midi à Meaux ; à la gare la répartition est faite entre les divers hôpitaux de la ville. Je suis envoyé à l’Hôpital complémentaire n° 1 1ème division.
C’est un ancien couvent qui comprend beaucoup de petites cellules.
La pièce que j’occupe comprend trois lits que je partage avec deux sous-officiers d’infanterie. Dès le lendemain mes yeux vont mieux, la fièvre est tombée et il ne subsiste plus qu’un léger enrouement.
Mes deux compagnons plus touchés ont un commencement de bronchite et toussent beaucoup. Pendant les premiers jours nous devons garder la chambre une bonne partie de la journée. La matinée se passe au lit et aux soins donnés par une infirmière qui consistent en lavage d’yeux en gargarismes et en pulvérisations.
Le soir nous pouvons nous promener quelques instants dans le jardin. La cuisine est passable et nous avons par exception une bonne infirmière
(une dame d’un certain âge) il serait difficile d’en dire autant des autres qui pensent surtout à flirter avec les malades et le personnel infirmier ;
(c’est vraiment malpropre et écœurant et combien sont à plaindre les malheureux garçons qui obligés de garder le lit demandent des soins continuels).
Le 4 Novembre alors que je vais mieux mon oncle vient me voir à Meaux. Il y passe 2 jours et le médecin-chef me permet de sortir en ville et de déjeuner avec lui. Cette journée coupe agréablement mon séjour à Meaux.

Le 8 Novembre je pars en permission de 20 jours: 10 de convalescence et 10 de détente.

Décembre 1917
Le 2 décembre je quitte Aubigny à 2 heures du soir et j’arrive à Paris vers 7 heures. Je couche à Paris et me rends le lendemain à Noisy-le-Sec d’où je suis dirigé sur Neufchâteau. Après un voyage assez lent j’arrive à Gondrecourt où je passe une partie de la nuit.
Je suis à Neufchâteau le 4 vers 6 heures du matin.
Je suis rééquipé le même jour.
Dans cette ville sont de nombreux américains à l’instruction.
Le 5 vers 6 h je quitte Neufchateau et rejoins ma batterie qui est au repos à Ceintrey et Voinémont, pour m’y rendre je passe par Toul et Nancy.


Décembre 1917/Janvier 1918 : Incursion hivernale dans les Vosges
Du 5 au 24 Décembre nous y restons au repos. Nous y faisons quelques marches et quelques exercices de mise en batterie Les gens du pays sont assez aimables et ces quelques jours passeraient assez agréablement si la plupart de mes camarades n’étaient encore en traitement pour les gaz dans divers hôpitaux de l’intérieur.
Le personnel des pièces a été presque entièrement renouvelé et on ne rencontre plus guère que de nouvelles têtes. Il faudra le temps de renouer connaissance et ce changement presque complet gâte les quelques jours de calme passés à l’arrière.
On essaye de distraire les hommes avec de petits concerts avec des artistes d’occasion. On commence à créer un peu plus de camaraderie quand il nous fallut quitter Cintrey.
A 7 h du matin nous partons pour Frenelle-la Grande (étape de 25 kilomètres par une température plutôt basse). La nuit suivante la neige se met à tomber et quand je me lève à 5 h et demie pour rassembler mon logement la terre gelée est recouverte d’un manteau blanc.
En allant seller mon cheval je glisse sur une flaque d’eau gelée et tombe sur les reins la tête a porté sérieusement. Le casque a paré le coup et je me relève sans grand mal mais de fort mauvaise humeur. Je la passe sur les plantons, le trompette et les cyclistes qui ne sont pas à l’heure au rassemblement. Après avoir avalé un quart de café bouillant.

A cheval et en retard dans la nuit pour retrouver dans un village voisin le lieutenant d’Etat-major qui commande le logement ; les chevaux glissent sur cette neige et il est impossible de trotter aussi arrivons-nous en retard. Je me présente au lieutenant qui commence à m’attraper.
Mon cheval que j’avais arrêté sur de la glace glisse des quatre pieds et s’abat il est aussitôt relevé ; cela clôt les compliments à mon adresse et en route pour Dompaire. Dompaire est un pays plus important que celui que nous venons de quitter mais nous y arrivons par un bien vilain temps ; les rafales de neige se succèdent sans arrêt et c’est complètement trempés que nous terminons cette étape de 25 kilomètres ; il ne faut pas penser à se changer ; d’abord nous n’en avons pas le temps car le cantonnement doit être prêt à l’arrivée de la batterie ; puis notre linge est dans les chariots qui n’arriveront ici que dans 2 heures ; nous trouvons une écurie pour nos chevaux et en avant dans la neige pour nous réchauffer.
Enfin le soir nous pouvons nous sécher un peu les pieds à notre popote installée dans une auberge de l’endroit et c’est avec plaisir que nous apprenons qu’il y a repos le lendemain.

Le 27 – Dompaire-Dinozé. Nous passons à Epinal mon ancienne garnison ; c’est avec plaisir que je traverse cette région bien connue. Le temps est toujours très froid ; la neige tombée les jours précédents est gelée ce qui rend les routes très glissantes. Les étapes se font lentement et au prix de grosses difficultés. Epinal n’a pas changé d’aspect. Nous arrivons dans la région occupée par nous au début de la guerre et débouchons sous le pont qui précède immédiatement la caserne Schneider ( j’y ai passé deux années peut-être pas très agréables) nous continuons par la rue de Nancy. En arrivant aux Galeries je demande la permission de m’arrêter et j’y fais l’acquisition d’une paire de gants fourrés (c’est vraiment indispensable par ce froid de canard). Un temps de trot et je rejoins le reste du logement avant Dinozé. L’installation est vite faite car la plupart des hommes sont installés dans des baraquements en planches médiocrement chauffés. En résumé cantonnement très facile à faire mais peu confortable en cette saison.

Le lendemain 28 nous partons pour Xertigny par un temps épouvantable. La neige tombe à plein temps et gèle au fur et à mesure pour faire de nos vêtements de véritables carapaces de glace. L’étape est relativement courte 17 kilomètres et tout le monde est casé vers midi.

Le 29 – Kertigny – St Loup. Il nous faut aujourd’hui rattraper le temps perdu hier et parcourir 31 kilomètres par des routes gelées et glissantes. Le cantonnement est très bon et nous fait oublier un peu la mauvaise journée. Ce bien-être sera malheureusement de courte durée et le lendemain à 6 heures à la lueur d’une bougie je suis en grandes difficultés avec mes souliers trempés par la neige tous les jours précédents et qui ont gelé sous mon lit. Ce n’est qu’après un bon quart d’heure d’effort que j’arrive à y introduire mes pieds. L’Etape sera encore longue (35 kilom.) et ce n’est que tard dans la soirée du30 vers trois heures de l’après-midi que tout le monde sera casé. Nous sommes là à 7 kilomètres de Vesoul. Le soir nous apprenons avec plaisir qu’il y aura repos le lendemain peut-être même le surlendemain.
Par ce froid très vif cette suite d’étapes a été pénible et la pensée de rester un peu au chaud vous réjouit comme une récompense à un enfant sage.

Les gens du pays qui ont vu assurément beaucoup de soldats sont plutôt hostiles et gâchent un peu notre séjour ; le temps par contre se radoucit et avec la nouvelle année arrive le dégel.
Le haut commandement tenant compte sans doute des dures journées que nous venons de traverser nous donne encore repos pour le Jour de l’An.





























- 1918 -

Janvier 1918
Ce n’est que le 2 Janvier que nous quittons Colombier pour Mollans (18 kilom). La neige complètement fondue nous fait une route parfaite ; mais ce n’est qu’un faux dégel et la neige recommence à tomber dans la soirée pour geler la nuit suivante. Le lendemain la route est à nouveau glissante pour nous rendre à Ronchamp (distance 20 kilom.) Il fait très froid plus encore que tous les jours précédents. Ce dernier pays est assez important ; c’est un pays d’usine et de mines de 5000 habitants. Nous arrivons à loger tout le monde dans de bonnes conditions et notre popote installée dans un café restaurant est assez confortable. Un gros poêle alsacien nous dispense une douce chaleur qui semble bonne par cette température de – 10 ou 12°.
Nous mangeons là la choucroute composée dans les règles de la région.
Le 4, Ronchamp – Châlonvillars : 24 kilom – froid intense – nous arrivons dans un petit village agricole de peu d’importance avec une population peu accueillante. Quel contraste avec notre installation de la veille. Les hommes sont installés casés dans les granges et les chevaux sont en partie sous des hangars. Notre popote est installée dans une vieille buanderie sans feu avec une vieille table à peine suffisante pour nous permettre de tenir tous les sièges sont des planches posées sur des morceaux de bois ;
Le 5 Châlonvillars – Montreux-le-Château- 25 kilom. par un froid extrêmement vif. Pendant l’étape les conducteurs descendent à tout moment du cheval pour se réchauffer les pieds en marchant à côté de leur attelage. L’un d’entre eux de la batterie Mercier glisse sur l’étrier et roule sous les roues du canon qui lui défonce la poitrine. Il meurt peu après. A peine étions-nous arrivés à Montreux-le-Château qu’il nous faut partir pour monter à la position ; départ à 3 heures de l’après-midi, une heure plus tard nous franchissons l’ancienne frontière.

Nous voilà en Alsace. Il commence à faire nuit quand nous traversons le premier village. Quoique habité on n’y voit presque personne ; toute la population est rentrée dans les maisons et on sent que notre présence est loin de faire plaisir. Nous continuons sur des routes très étroites où les croisements et les dépassements sont extrêmement difficiles avec nos plateformes et nos grosses pièces.
Nous versons deux fois, nous accrochons trois et ce n’est que vers 9 heures du soir que nous arrivons à la position ; il nous a fallu près de 6 heures pour faire 17 kilomètres. Les emplacements de pièce sont dans un bois à mi-pente ; ce sera encore un sérieux coup de collier pour nos pauvres chevaux fatigués par cette dure journée. Les pièces sont amenées tant bien que mal à proximité des emplacements et les conducteurs détellent; demain nous tirerons sur les cordes pour mettre le tout en place. Chacun se presse en tremblant autour de la cuisine roulante; les doigts sont engourdis bien qu’ils tiennent une gamelle brulante. Tout le monde est creusé par le froid et les haricots semblent bons. En dix minutes le repas est expédié au clair de lune sous avec une température de moins 15° ; puis chacun prend ses couvertures et part à la recherche d’un abri pas trop défoncé. Aucun n’est clos. Je m’installe avec deux hommes de ma pièce dans un vieux gourbi bien tapissé de feuilles sèches. A première vue à la lueur tremblotante d’une bougie il nous semble à peu près intact. Fatigué par cette dure journée je me roule dans mes couvertures et je m’endors aussitôt ; 3 heures après je me réveille gelé ; je regarde au-dessus de moi et je vois les étoiles briller d’un vif éclat notre plafond est percé et il sera impossible de passer le reste de la nuit dans ce trou. Je me lève suivi presque aussitôt de mes deux hommes pour aller nous réchauffer en courant sur la neige ; la moitié de la batterie est là à faire du pas de gymnastique. En attendant le jour nous allumons un peu de feu sur un emplacement de pièce pour que la lueur ne soit pas aperçue par nos voisins d’en face. Le café est prêt de bonne heure et c’est avec plaisir que chacun de nous vient faire emplir son quart. Aux premières lueurs du jour chacun s’attèle à la besogne. Pour mon compte personnel je divise mon peloton de pièce en deux parties. Les uns s’occuperont de la mise en place du canon tandis que les autres répareront un abri dans lequel le plafond sera sans trou et où il sera possible d’allumer du feu. Le tout est fini dans l’après-midi. Le soir nous donnons l’hospitalité à une partie du personnel de la 2ème pièce ce qui nous met tellement à l’étroit qu’il nous faut nous coucher tous sur le côté ; placés sur le dos l’abri n’est pas assez grand pour nous contenir tout. Un des hommes de ma pièce (Comeau maçon dans la vie civile) nous a confectionné une cheminée. Elle fume beaucoup mais donne malgré tout un peu de chaleur bien accueillie par ce froid intense.
6-7-et 8 – Il recommence à neiger et ces trois jours passés sur une position non organisée dont tous les abris sont défoncés sont extrêmement pénibles. Le général commandant le secteur le reconnaît lui-même. Venu jusqu’à la position il nous dit : « Mes enfants je vous ai demandé là un travail presque surhumain. Je ne l’oublierai pas. J’avais besoin de vous pour préparer un coup de main. Dès qu’il sera exécuté, je vous renverrai vers l’arrière. » Nous tirons environ 600 coups et les fantassins réussissent à ramener des prisonniers. Nous sommes en batterie tout près de Hackviller (= Flakwiller sans doute). Pendant nos heures de loisir nous descendons jusqu’au village pour prendre contact avec les civils, qui, dans cette région, sont tous restés chez eux. L’impression est pour moi nettement défavorable. Il me semble que toute cette population nous est hostile.
Le 8 vers 3 h de l’après-midi nous quittons la position pour nous rendre à l’échelon à Montreux-le-Château. Il ne neige plus mais le froid est toujours très vif. Dès la tombée de la nuit il gèle très fort car la lune est à son plein. Malgré ce bon éclairage nous n’arrivons pas sans encombre. Vers cinq heures engagés avec nos grosses pièces et nos grosses plateformes sur une route étroite bordée d’arbres nous voyons venir en sens inverse une file de camions automobiles. Naturellement personne ne veut reculer et pourtant nous n’aurons pas la place de nous croiser. Avec notre matériel nous ne pouvons pas tourner ni reculer tandis que le convoi automobile pourrait le faire. Chacun s’arrête puis commence à discuter sans vouloir céder ; et cette discussion en plein vent par 7 ou 8 degrés au-dessous de zéro n’a rien de drôle si bien que lassés et gelés nous tentons d’impossible c’est-à-dire de nous croiser sans avoir la place suffisante. Ce qui devait arriver arriva ; notre première plateforme accroche un camion et lui fait faire de la marche arrière malgré nous lui. Pour se dégager chacun oblique vers le fossé. Nos chevaux impatients tirent un peu trop à gauche et nous voilà dans le remblai. Avec des cordes passées dans la roue les servants aidés des chevaux nous tirent assez rapidement de ce mauvais pas. Mais pendant ce temps la même catastrophe arrive à notre troisième pièce et cette fois le travail sera plus compliqué. La roue qui se trouve en contre bas glisse sur la terre gelée et impossible de la faire remonter sur la route si bien que nous voilà butés contre un arbre qu’il nous faut scier au passe-partout. Quel travail au clair de lune par – 8° ou 9°car au fur et à mesure que la nuit avance le thermomètre descend. Peine inutile car malgré nos efforts la roue ne remonte pas et nous voilà calés à un deuxième arbre.
De nouveau passe-partout et par malheur cet arbre est plus gros que le premier.

Enfin après deux heures d’effort nous voilà sortis de cette mauvaise route et à 9 heures seulement nous sommes à Montreux-le-Château tandis que nous devions être dans nos cantonnements depuis 7 heures. Enfin nos camarades de l’échelon avaient pensé à nous me réservant un lit dans une maison momentanément abandonnée par ses propriétaires. Il n’y fait (pas) chaud au sortir de la popote mais une fois bien enfoui sous les couvertures on est tout de même mieux que dans les abris défoncés de la position que nous venons de quitter. Le temps continue à être très mauvais et le surlendemain de notre arrivée nous nous réveillons avec 40 centimètres de neige. Notre popote est installée chez une bonne femme qui nous fait de très bonnes cuisines.
Ces cinq jours pendant lesquels nous jouissions d’un peu plus de confort passent assez rapidement et le 13 il nous faut parti pour Chateauvillars (Chalonvillars) sous une pluie battante qui ne cesse pas un seul instant. L’étape n’est pas très longue (22 kil.) mais ce fut pour nous une des plus dures journées. A notre descente de cheval nous pataugeons pendant heures dans 15 centimètres d’eau pour caser hommes et chevaux – les greniers pour les premiers les granges et les hangars pour les seconds – peu brillant dans d’ensemble
14 – Chalonvillars –Ronchamp (20 kil) nous retrouvons le cantonnement occupé à l’aller et mangeons à nouveau la choucroute.
15 – Ronchamp - Bouhans-les-Lure (20 kil) petit pays sans aucune ressource ; pour comble de bonheur nous y faisons séjour.
17 - Bouhans-les-Lure - Colombier (20 kil) – même cantonnement qu’à notre premier passage.
18 – Colombier – Bougnon (18 km) Les gens y sont assez aimables mais le pays n’offre aucune ressource.
19 – Bougnon – Amance – Voilà la fin de nos étapes d’hiver par le froid et les routes verglacées. La population est assez accueillante et le logement se fait assez facilement. Je trouve un lit et une chambre dans une quincaillerie. Le mari est encore mobilisé dans la région ; il reste sa femme et ses deux enfants tous très hospitaliers. Nous installons notre popote chez un cultivateur qui met une grande salle à notre disposition et un coin pour faire la cuisine. Nous les gênons un peu mai sils profitent de temps en temps du ravitaillement un peu trop abondant.




Février /Mars 1918 : repos de la batterie
Après quelques jours nos hommes peu occupés aident les gens du pays à leurs travaux de culture. J’entre en relation avec des chasseurs du pays qui très aimablement nous invitent à chasser les animaux nuisibles. J’y tire un lièvre de contrebande (avec la permission de mon inviteur) et un renard que j’offre à mes logeurs pour les remercier de leurs bons soins.
( Ayant été grippé pendant qqs jours je fus soigné d’une façon toute maternelle par la maitresse de maison). Notre séjour se prolonge dans le calme et la tranquillité jusqu’au 12 Mars date à laquelle je pars en permission. Je rentre le 28 à 7 h du matin. Notre repos prend fin le lendemain 29 et nous partons à 8 h du soir pour embarquer à la gare de Port d’Atelier. Les habitants d’Amance malgré l’heure avancée et la nuit sont venus se porter sur notre passage pour nous dire un dernier adieu.
Notre embarquement retardé ne se termine que vers trois heures du matin. Après vingt et une heures de chemin de fer nous débarquons dans l’Oise à Verberie le 31. Mais un peu après minuit. Une étape de 24 kilomètres faite en partie de nuit nous amène à Avrigny. On voit de tous écôtés de malheureux évacués qui fuient couchant un peu partout s’arrêtant lorsqu’ils n’en peuvent plus aux endroits où ils trouvent un peu de place.

Avril 1918 : l’Oise
2 Avril – 7 heures. Nous quittons Avrigny pour nous rendre à la Bruyère à 6 kilomètres de là.
7 Avril – 6 h – Départ de La Bruyère pour Hermes où nous arrivons vers midi (25 kilom.) Le pays est assez important et nous y passons une agréable soirée de dimanche.
Le 8 Avril à 6 h du matin je pars pour Beauvais avec le sous-chef de la batterie ; nous devons faire là bas une reconnaissance des parcs d’Artillerie. L’étape faite isolément sera de ce fait plus agréable. De là nous y gagnons Mont St Adrien ( 20 kil). Le pays s’étend tout en longueur. Il offre peu de ressources. Les maisons sont en torchis et briques ; beaucoup sont en ruines. Les rues sont salies. Nous nous casons plus mal que bien mais vraiment nous n’avons pas à nous plaindre en attendant ce qui se passe en avant. En effet le 9 et le 10 la canonnade est très violente et nous pensons dans quelles conditions doivent se trouver les troupes engagées.
Le 15 – Départ de Mont St-Adrien pour Thérines ( 25 kil)
16 – Nous quittons Thérines à 7 h du matin pour Thieulloy-la-Ville ; nous y arrivons vers 10 heures. Le pays est occupé par un groupe du 256 è qui n’a pas l’ordre de partir. Le lieutenant chargé du cantonnement très ennuyé par ce contretemps et nous attendons pensant que les artilleurs de la compagnie partiront avant la nuit. Vers 14 heures nous faisons pourtant le logement ; mais à 16 heures ordre de revenir sur nos pas pour cantonner à Daméraucourt. Nous sommes obligés de laisser sur le bas-côté de la route pièces et plateformes étant dans l’impossibilité de faire demi-tour et de monter une côte très dure. Seuls la cuisine et les chariots indispensables viennent au pays attelés avec des chevaux de renfort ( 8 ou 10 attelages par chariot).
17 – Daméraucourt – Thieulloy- la –Ville ( 8 kil). Pendant notre séjour je vais le 20 à Aumale (Seine-Inférieure) – très joli petit pays de 5000 habitants aux marchés bien approvisionnés.
22 – Je vais à Hescamps-Ste-Claire pour y faire le cantonnement. Départ à 7 h et à 11 heures nous sommes de retour pour déjeuner. La Batterie quitte Thieulloy pour Hescamps à 12 h 30. le pays est sur la limite de l’Oise et de la Seine Inférieure. Région de pâturages ; on sent la Normandie toute proche.
24 – Je vais à Formerie chef-lieu de canton de l’Oise. Le marché au beurre est très important. On y voit de grosses mottes de 25 à 30 kilos.

Mai à Aout 1918 : formation de sous-lieutenant
13 Mais proposé en Mars pour suivre le Cours de Perfectionnement je quitte Hescamps pour me rendre à Sézanne. J’arrive à Paris le 13 au soir et j’en repars le 15 au matin. A 15 h 30 arrivée à Sézanne.
17 – Je suis affecté à la 34ème Brigade – Lieut. De Fosseux.
Du 17 Mai au 2 Juin le cours de mathématiques est pour moi très dur et je suis obligé de travailler beaucoup pour arriver à suivre péniblement
Juin – Par suite de l’avance boche l’école est transformée en hôpital et nous partons pour Joigny par le train. A Sézanne nous occupions des baraquements ici c’est une ancienne caserne d’Artillerie. Une journée entière est sacrifiée pour le transport et l’aménagement des lits dans les différentes chambres qui nous sont affectées.
Du 4 Juin au 8 Août les cours se poursuivent sans interruption. Aux mathématiques du début ont succédé la topo, le pane puis les écoles à feu. Les derniers temps nous faisons quelques exercices de batteries attelées – puis ce sont les examens finaux et la sortie le 8 à la grande joie de tous.
8 au 22 – Je passe cette période à Aubigny en permission de détente.
Le 22 je pars pour Cherbourg rejoindre le dépôt de mon régiment d’affectation le 180ème. J’y retrouve des camarades du C.P.A. Nous ne recevons aucune affectation étant donné que nous devons partir presque aussitôt pour le front. Je suis à l’hôtel et me rends simplement au quartier pour le rapport. Il fait très chaud et les boissons glacées que nous consommons en excès me donnent de fameuses coliques qui m’arrêtent presque complètement pendant 2 jours.
27 – Je vois à l’officiel du 24 ma nomination de sous-lieutenant à T.T.
Septembre – Je quitte Cherbourg pour rejoindre la gare régulatrice de Connantre avec permission de 24 heures pour Paris.

Septembre 1918 : de retour en Artois
4 Sept – J’arrive à Connantre et y passe la nuit. Je suis dirigé le lendemain pour sur Mantes.
6 – J’arrive à Mantes à 10 h et j’en repars le soir même à destination de Rethondes.
7 – Après beaucoup de difficultés je rejoins le commandant
de mon nouveau groupe à St-Paul-aux-Bois. Le commandant et ses officiers sont installés très à l’étroit dans les ruines du village. Je suis reçu très cordialement par tous et ce même soir je suis l’invité de l’Etat-Major. Ce n’est que le lendemain que je retrouve mon vieil ami Azière détaché provisoirement aux batteries.
8 – De St-Paul-aux-Bois le PC se transporte à Vilaine. Je fais en compagnie d’Azière une reconnaissance de batteries et d’observatoires aux monts de Rouy/Rony ?
9 – Je suis affecté provisoirement à la 18ème batterie. Je me présente au capitaine Roubertie qui est installé en lisière de la forêt de Coucy. Les gourbis sont dans la forêt même bien dissimulés à la vue des avions. On peut même faire sans risque la cuisine sur place. Nous ne tirons pas ; c’est le grand calme dans notre coin. Calme qui suit la bataille car dans les journées qui précédèrent mon arrivée dans le secteur il y eut de violents combats pour le franchissement de l’Ailette. Les équipements et les débris de toutes sortes qui jonchent le sol et les cadavres qui sont étendus de tous côtés montrent combien cette petite rivière fut âprement défendue. Tout près de là les chasseurs à pied ont été fauchés par des mitrailleurs placées à la lisière de la forêt. La plupart ont été tués dès la sortie de la tranchée et on voit avec peine ces malheureux jeunes gens dont les cadavres raidis et gonflés sont alignés souvent encore avec le casque sur la tête et le fusil à la main.
15 – Nous quittons la forêt de Coucy pour nous rendre aux échelons tout près de St Paul aux Bois ( 8 kil)
16 – Je passe à la 17 ème batterie – St Paul aux Bois – St Crespin aux bois ( 25 kil)
17 – St Crespin – Le Berval.( commune de Bonneuil-en-valois) Nous traversons une partie de la forêt de Compiègne (25 kil
18 – Le Berval – Le Plessier aux bois – 20 kil – Le lendemain 19 je profite du séjour pour aller à cheval avec Azière jusqu’à Villers-Cotterets
21 – Nous quittons le Plessier à 10 heures du soir. Cette étape au pas est plutôt pénible. Après minuit le sommeil nous gagne et bercé par le pas des chevaux on s’endort pendant quelques secondes et on se réveille brusquement en perdant l’équilibre sur sa selle. Après deux ou trois ruptures d’équilibre de ce genre je me décide à mettre pied à terre d’autant plus que la nuit est fraiche. Après 2 kilomètres de marche je suis réchauffé et réveillé et je remonte à cheval pour arriver un peu avant l’aube à Belleau. Il est environ 4 heures quand nous arrivons à l’emplacement du village. Il ne reste absolument rien, pas une maison debout, seules quelques caves restent utilisables. L’une d’elles est même déjà habitée par les propriétaires qui sont revenus depuis le recul des Allemands. C’est dans le bois voisin que les Américains débutèrent sur le front français ; ils s’en emparèrent mais en essuyant de lourdes pertes.
Nous installons P.C. et popote dans une cave.
Le 22 je vais avec le cuisinier à Château-Thierry faire quelques achats pour la popote. Certains quartiers de la ville ont beaucoup souffert. Nous restons très peu de temps nos achats terminés nous remontons en voiture et en avant Chocolat (J’ai oublié de vous présenter Chocolat. C’est le cheval de l’Etat-Major de la 17 è Batterie. Il trotte bien tout en étant très doux. La couleur chocolat au lait vous indique le nom dont il a été gratifié)
Nous passons encore une journée dans nos ruines et le 24 à une heure du matin par un temps clair et froid nous quittons Belleau pour Fresnes ( 25 kil.) Il y a beaucoup d’hésitation dans notre marche et après avoir bu le café vers 6 heures du matin sur le bord de la route nous repartons après 2 heures d’arrêt pour arriver à Fresnes dans la matinée. Nous n’avons pas le temps de nous y installer ; nous en repartons le même soir à 11 heures pour aller cantonner au Bois de Brouillet ( 22 kil). Nous arrivons un peu avant l’aube et nous attendons que le jour arrive pour nous caser plus mal que bien dans cette région humide. Il a plu légèrement cette nuit et le fait de s’introduire sous ces branches mouillées n’a rien d’agréable surtout après deux nuits presque sans sommeil.
Le 25 à 2 h du matin nous quittons le bois de Brouillet pour aller mettre (sic) en position à Villette (18 kil ) ( près de Fismes) nous y arrivons par un jour brumeux très favorable au déplacement d’artillerie. Le village n’est plus qu’un amas de ruines au milieu desquelles on ne distingue même plus l’emplacement des rues. Les places pièces sont placées en lisière du pays et légèrement camouflées. Nous installons nous-mêmes notre PC dans une maison un peu moins démolie que les autres il subsiste encore un e partie des pans de murs et le plafond assez solide supporte la toiture effondrée. Ce sera très confortable à condition toutefois qu’il ne pleuve pas. Tout à côté nous avons une petite cave qui nous servira de chambre à coucher. L’entrée à moitié obstruée oblige à y rentrer à quatre pattes et à l’intérieur deux seules positons possibles assise ou couchée.
Dès le 26 nous avons les honneurs des gros calibres et les abords de la position reçoivent 150 obus de 210.
Le 27 et le 28 nous ne recevons que quelques 105.
Le 29 n’ayant aucun tir en perspective je prends ma soirée pour aller voir mon ancien groupe qui est en position.
Quel changement aussi bien cette région que nous avons occupée en 1917 que le groupe lui-même. En arrivant à ce qui fut ma batterie je ne vois que des figures inconnues. Enfin voilà un ancien de la 2 è pièce. Un peu plus loin le Mal des logis Labry, mon ancien téléphoniste du début de la guerre. J’arrive au P.C. et je suis reçu par un jeune aspirant que je ne connais pas./ Peu après arrive le lieutenant Villepetit. Le plaisir de la rencontre semble partagé. Je fais à la suite une courte visite à l’Etat-major du Groupe et rejoins Villette. J’aurais eu grand plaisir à descendre aux échelons où je compte encore de nombreux camarades mais le peu de temps dont je dispose ne me le permet pas.
Le 30 – Attaque – Les nombreux ordres de tir que nous recevons au cours de cette journée nous donnent un travail fou et nous ne sommes pas trop de trois pour faire tous nos calculs et exécuter les tirs en temps voulu. Vers 5 h et de mi de l’après-midi ordre d e mettre les pièces en position de route pour quitter la position le village vers 8 heures.
Le lieutenant Ct appelle un téléphoniste pour transmettre cet ordre aux chefs de pièce. Je me permets de lui faire remarquer qu’il est peut-être un peu tôt de faire exécuter dès maintenant. D’ici 8 heures nous pourrions bien recevoir un contrordre. Croyez-vous, me dit-il, j’ai reçu l’ordre je le fais exécuter. Ce que je craignais arriva.
A 7 heures coup de téléphone « Remettez vos pièces en position et tirez sur les abords de X » Travail inutile à recommencer pour déclencher notre tir. Une demi-heure plus tard un troisième ordre arrivait de remettre les pièces à la position de route et d’attendre les échelons qui étaient alertés.
2 heures plus tard les pièces attelées nous partions pour l’échelon où nous et y arrivions péniblement vers 4 h du matin ( 5 heures pour parcourir 18 kil.) Nos ordonnances nous avaient aménagé une tente sous laquelle nous nous glissons le lieutenant Ct et moi. Je me roule dans nos couvertures et mon manteau et m’endors assez vite. Deux heures à peine se sont écoulées quand un agent de liaison soulève la toile et remet un pli au commandant de la Batterie – « Ordre de tout préparer pour partir dans une heure »
A 7 heures les chevaux sont attelés et les voitures chargées mais maintenant il faut attendre. 7 heures et demie, huit heures enfin toujours rien. Enfin à 9 heures à cheval et en route pour Crugny où nous sommes vers 11 heures. Arrêt sur le bord de la route pour manger. Les Ct de Batteries partent en reconnaissance. A 3 heures à leur retour départ pour la Ville aux Bois ( 20 kil) (= La Ville-aux-Bois-lès-Pontavert) ; nous y arrivons vers 6 heures. Tout le monde chevaux et voitures s’installent dans un parc sur la ligne même des batteries qui tirent de tous côtés. Les toiles de tente sont tendues dans l’obscurité et vers 10 heures après avoir casé hommes et chevaux nous nous couchons. Il fait presque froid et le temps clair semble nous annoncer une bonne gelée blanche.

Octobre 1918 : campagne belge
2 Octobre – A 1 h du matin réveil pour aller prendre position à la ferme voisine qui se trouve à peine à 2 kilomètres. Les pièces sont placées dans un petit champ un peu en arrière ; il nous faudra attendre le jour pour les mettre en direction. Dès 9 heures nous apprenons que le Boche décolle et nous serons trop loin pour tirer. J’en profite pour faire une petite visite de la ferme et des environs. La moitié des bâtiments est encore debout certains même possèdent encore leur toiture. Sous un hangar plusieurs cadavres de soldats qui, blessés, ont dû être apportés là ; ils y sont morts. Rn avant la lutte a du a été assez vive. Plusieurs soldats allemands ont été laissés dans des trous avec des mitraillettes. L’herbe roussie et les nombreuses douilles vides indiquent la grande quantité de cartouches tirées. Ils ont tenu là jusqu’à la mort. J’en compte trois sur un espace restreint. Ils sont étendus à côté de leurs engins le crâne fracassé par une grenade. Plus loin des bouts de tranchées remplis de débris et d’équipements de toutes sortes même des échantillons de pain K.K. Il est franchement noir et je vous avoue que j’ai nulle envie d’y goûter.
Toute la soirée nous sommes sur le qui-vive attendant l’ordre de nous porter an avant. A la tombée de la nuit toujours rien. Une écurie à peu près intacte nous sert de chambre et nous ne tardons pas à dormir profondément. Hélas ce ne sera pas pour longtemps . A 11 heures un cycliste de l’Etat-major arrive avec un ordre. Le Ct de Batterie partira en reconnaissance et le lieutenant en second ( moi-même en la circonstance) emmènera la batterie. Une demi-heure plus tard à cheval et nous nous enfonçons dans la nuit. A 2 kilomètres de là à l’entrée d’un village nous nous joignons aux deux autres batteries pour monter tous ensemble vers les lignes.
La route à peine réparée est remplie de trous ce qui ne facilite pas notre marche dans l’obscurité. Le village dépassé nous continuons pendant 2 ou 3 kilomètres notre marche hésitante. Devant nous la canonnade fait rage et les fusées montent sans arrêt éclairant pendant quelques secondes notre retour pour nous replonger ensuite dans une obscurité plus profonde. L’arrêt cette fois se prolonge nos commandants de batterie s sont revenus avec l’ordre de faire demi-tour. La nouvelle n’est pas pour nous déplaire car nous commençons notre troisième nuit sans sommeil ; mais ce demi-tour en plein champ au milieu de trous d’obus, de fils barbelés et de débris de toutes sortes n’est pas chose facile ; nous y arrivons cependant et vers 2 heures du matin nous suivons la route en sens inverse nous dirigeant vers Faverolles. A 9 h nous y arrivons après une étape de 21 kil. Là nous retrouvons notre Section de Munitions Automobile. En déjeunant les officiers qui la commandent nous proposent de pousser une pointe jusqu’à Epernay. Le Commandant accorde la permission et nous voilà 5 lieutenants et s/lieutenants roulant à toute allure sur une route bordée de trous d’obus. Elle a été à certains endroits réparée avec des moyens de fortune et les villages traversés sont complètement démolis. Nous sommes de retour d’assez bonne heure et nous gagnons notre matelas avec grand plaisir.
4 – A 7 h du soir départ de Faverolles pour les Crouttes ( 35 k). La première partie du trajet se fait très bien mais vers 11 h les avions boches nous suivent pendant un certain temps lâchant des bombes tout autour de nous. Elles éclatent tout près. L’une notamment à l’entrée d’un village tombe dans la rue nous criblant de pierres er de débris de toutes sortes. Personne n’est blessé c’est presque miraculeux. Un peu plus loin un pont sous lequel nous nous engageons a été écorné par l’une d’elles. Enfin ils ont vidé leurs approvisionnements et c’est dans le calme que nous terminons notre étape.
Au petit jour nous arrivons aux Crouttes petit hameau de peu d’importance
6 – Le lendemain à 10 h du matin nous partons pour Villers-Cotterêts (étape de 30 kil). Arrêt aux abords de la gare en attendant que le train qui doit nous emmener soit formé et placé à quai. Ce n’est que vers 9 h du soir que l’embarquement est terminé. L’itinéraire est le suivant : Amiens, Boulogne, Calais. C’est à Cassel que nous débarquons et dans la matinée après une petite étape de 10 kil nous nous installons dans une ferme près de Ecke ( = Eecke).
9 – Les mouvements de troupes ne doivent pas avoir lieu en plein jour tant à cause des avions que des indications qui peuvent être recueillies par l’ennemi et mouvements de troupes dans les divers secteurs. Aussi est-ce à 10 h du soir que nous quittons notre ferme pour arriver un peu avant le jour à Boesinghe –Belgique- ( = Boezinge) après une étape de 25 kilomètres.
La nuit suivante c'est-à-dire le 11 vers 3 heures du matin nous quittons Boesinghe pour aller prendre position en avant de Westrosbek (=Westrozebeke). La route suivie est très dangereuse. Il faut faire grande attention de ne pas s’en écarter. Le pays très humide est couvert de trous d’obus remplis d’eau. Il serait presque impossible de sortir une pièce qui y tomberait. Elle s’embourberait infailliblement. Les villages de toute cette zone n’existent plus et sont représentés par une pancarte indiquant leur nom. Ils ont été démolis par l’artillerie et les quelques pierres qui restaient ont été employées à la réfection et l’entretien des routes. Nous tirons sur Roulers ( =Roeselare) dont on aperçoit le clocher. Nous en sommes environ à 6 kil.
La nuit du 13 au 14 est très mauvaise. Il pleut, le vent souffle et les boches sont particulièrement excités. Ils nous marmitent avec du 150. Ils nous serrent de près et vers 2 heures du matin une rafale de 6 coups tombent à quelques mètres des pièces criblant d’éclat tous les abris.
Nous ne dormons pas attendant d’une minute à l’autre le coup de téléphone qui déclenchera le tir prélude de l’attaque.
A cinq heures la sonnerie retentit ; nous sommes debout aussitôt. « Vous tenir prêt à tirer dans qqs minutes sur les objectifs désignés. Pendant 2 minutes vitesse maxima de toutes les pièces. A h 15 un pli nous apporte l’heure H.
A h 30 toutes les batteries du secteur ouvrent le feu. Dans le jour naissant on dirait un immense incendie au milieu d’une canonnade effrayante. Minutes après les fantassins s’élançaient de leurs tranchées.
Nous sommes tout d’abord sans nouvelles. Puis dans la matinée nous apprenons qu’en face le décollage a été dur. Malgré tout les ailes ayant progressé nous enregistrons en fin de journée une avance de 5 kilomètres. Roulers est à nous. Toute la matinée nous voyons défiler une grande masse de cavalerie. Une division entière. Jamais depuis le début de la guerre je n’en avais vu pareille quantité.
Le 15 et le 16 nous ne tirons plus et trouvons le temps long. Pourquoi n’avançons-nous pas derrière notre infanterie ? Telle est la question que tous se posent.
Enfin le 17 nous quittons la position pour aller nous concentrer à la sortie de Roulers ( 10 kil). La ville a beaucoup souffert. La plus grande partie des maisons sont démolies. Plus de portes ni de fenêtres, des pans de murs noircis et des toitures éventrées. Au carrefour de vastes entonnoirs creusés par les mines placées par les Allemands. Nous avançons à travers les gravats et débris de toute nature pour cantonner dans un faubourg. Pendant que les conducteurs détellent et soignent leurs chevaux nous allons visiter les ruines de la ville. Plusieurs servants ont suivi. Hantés par ce besoin e chapardage qui sommeillent toujours chez les soldats, ils pénètrent à l’intérieur des maisons pour voir s’il n’y reste rien. Au cours de leur visite alors que je m’apprêtais à les faire sortir des hommes de la 11 è Batterie en voulant descendre dans la cave butent sur une ficelle. Cette ficelle était reliée à une grenade qui fait aussitôt explosion. L’un d’eux est tué l’autre grièvement blessé. Quel incident stupide !
18 à 9 h 30 – départ de Roulers pour prendre position à 3 kil en deçà de Meulebeke (15 kil.).

[NDE : Changement d’écriture : partie écrite à une date postérieure]

Nous ne tirons plus. Puis nous prenons position en deçà de la Lys pour en préparer le franchissement.
Nous exécutons des tirs de démolition sur la rive occupée par les Allemands. Nous manquons d’observatoires dans cette région plate.
Je pars avec Clavel de la 18 è Bie pour essayer de découvrir quelque chose. Mais pas la moindre petite éminence de terrain. Enfin nous arrivons dans un village. Le clocher de l’église est encore debout. Toute fois le pan de mur qui fait face aux Allemands est abattu ce qui nous oblige à beaucoup de prudence si nous ne voulons pas être vus de l’ennemi.
Nous pénétrons dans l’église et montons l’escalier qui conduit au clocher. Nous nous heurtons à une trappe qu’il est impossible de soulever ; les gravats provenant du pan de mur abattu la recouvrent. Nous unissons nos efforts pas de résultat. Enfin en unissant à nouveau toutes nos forces nous réussissons à la soulever légèrement. Alors la plus grande partie des gravats qui la couvrait s’abat sur nous sans grand dommage si ce n’est pour les habits. Enfin c’est une réussite car nous avons une belle vue sur les positions allemandes.
Le village semble abandonné par ses habitants. Nous pénétrons dans une cour. Lapins s’y promènent en liberté, dans l’étable une vache en état de décomposition avancée. Puis soudain se dresse au milieu des ruines un homme âgé. Il ne parle pas français.
Nous rejoignons nos batteries. Si des tirs nous sont demandés peut-être ferons-nous établir une ligne téléphonique.
Le bombardement s’intensifiant sur cette rive de la Lys les civils belges reçoivent l’ordre d’évacuer leurs maisons. Comme il leur reste des volailles qui seront perdues pour eux… Je demande à un vieux flamand de me vendre un poulet. Il accepte. Mais quand je lui offre en paiement 2 billets de 2 fr et 1 fr soit 3 fr prix approximatif de cette volaille, il refuse énergiquement en disant « nicht papier » Je crus comprendre qu’il n’avait aucune confiance dans le papier. Alors je fouille mes poches et réunis une pièce de 0.25 et 2 sous en bronze de 0.10. Total 0.45. la figure s’éclaira et accepta d’emblée de me céder le poulet.
Il est demandé à notre Batterie de démolir une briqueterie occupée par des mitrailleuses qui arrêtent complètement la progression de l’Infanterie. Je dois me rendre en 1 ère ligne pour observer le tir. Je traverse la Lys et me glisse de trous d’obus en trous d’obus et arrive près du téléphone. Je prends contact avec le lieutenant Lozevis Ct la batterie et le tir commence. Premier coup un peu long mais les suivants tombent en plein sur la briqueterie. La fumée qui suit les éclatements forme des nuages rougeâtres. Presque aussitôt les fantassins allemands lancent des fusées rouges demandant le tir de leur artillerie. Les Allemands tirant quelques 105 dont certains encadrent d’assez près le trou d’obus dans lequel je me trouve.
Je sus/crois ?? que le même soir la briqueterie avait été enlevée par l’Infanterie qui continuait de progresser.
Le lendemain nous traversons la Lys à notre tour et la batterie prend près de la ligne Cambrai-Gand. Nous arrivons là alors que la nuit est tombée depuis 2 h. Un peu en arrière de nos pièces une maison occupée par des civils. Une femme et ses 2 filles. Elles ne parlent pas français. Mais avec le peu d’allemand qui me reste j’essaye de m’entretenir avec une des filles qui le parle un peu. Je leur demande de nous abandonner une pièce. Elles acceptent. Nous nous installons sur un peu de paille.
Le lendemain nous ravitaillons nos hôtes en pain viande et conserves. Autant de choses qui leur font plaisir car elles ont été très malheureuses pendant les derniers jours de l’occupation allemande. Aux alentours de nos pièces je remarque l’emplacement d’une pièce allemande. J’interroge dans un mauvais allemand une des filles de la maison. Elle me répond qu’il (y) avait là un 77 qui avait pour mission de tirer sur le clocher d’Olsene dans lequel se trouvait un observateur français. C’était le clocher que nous avons occupé avec Clavel les jours précédents.
Les fantassins de notre division ont été relevés et ce sont des Américains que nous devons soutenir. L’attaque se déclenche le lendemain. Elle réussit et progresse très rapidement. Ils ont subi des pertes élevées mais ils arrivent à l’Escaut. De sorte que nous sommes trop loin pour tirer. Il aurait peut-être fallu 2 jours à nos fantassins pour atteindre le même objectif mais avec moitié moins de pertes.


ADDITIF
Additifs pour événements et missions périlleuses effectuées et qui n’ont pas été signalées dans les souvenirs écrits précédemment
Cet épisode peut se situer vers la fin juillet.( 1916)
Je suis envoyé pour savoir où passent nos lignes aux abords de la Batterie du Chenois. Pour m’y rendre je dois passer par le tunnel de Tavannes et après me débrouiller comme je pourrais.
Arrivé à la sortie du tunnel je m’apprête à continuer lorsqu’un s’écrase à l’entrée. J’attends en comptant les secondes. 30 sec après un second obus. Je m’élance rapidement et grimpe le remblai en courant. Un 3 ème obus arrive. Je suis passé. Mais quelques mètres plus loin quel spectacle. J’essaye d’éviter de marcher sur les morts qui se touchent. Jamais je n’ai vu autant de morts en un si petit espace. Il y en a peut-être une centaine. Parmi eux 2 brancardiers qui transportaient un blessé. Celui qui marchait en avant est tombé à genoux. L’autre est étendu sur le dos. Le blessé est étendu mort à côté de la civière.
J’arrive près du Commandant qui me donne les renseignements que je viens chercher. Au moment où j’allais partir le Commandant appelle un de ses coureurs pour porter un pli au tunnel de Tavannes. Comme je devais y redescendre je lui offre de remplacer le coureur qui n’aurait pas ce trajet dangereux à accomplir. Il accepte et je reprends le chemin du retour. En arrivant au tunnel j’attends un peu que le 210 soit tombé. Je dévale le remblai et me précipite dans le tunnel. Là je remets mon pli au colonel d’Infanterie. Je reprends le chemin du Groupe où je donne une fois encore les renseignements recueillis au Commandant bien calé dans son abri enterré.
Le reporter aux dates du 15 18 et 19 Juin 1916
A la suite de la mission dangereuse dont j’avais été chargée et après avoir fourni les renseignements importants que je rapportais. Et après avoir essuyé à 2 ou 3 reprises le feu des mitrailleuses allemandes mon capitaine me proposait pour une citation. Le Commandant qui m’avait envoyé là à la place de son lieutenant adjoint la refuse en disant que les artilleurs ne méritaient pas de citation. Jamais nous ne l’avons vu sur les positions de batteries.
Si nous avions eu un autre chef que ce froussard qui se contentait de donner des ordres par téléphone du fond de son abri bien enterré, le Groupe aurait obtenu deux citations amplement méritées.
A première position au bois des Essarts proche du fort de Souville nous avions eu pendant un mois 60 % de pertes. Le 28 juin en fin d’après-midi un obus allemand tombe sur un tas de 150 des nôtres creusant un formidable entonnoir tuant 5 servants et en blessant 5 autres grièvement.
A notre seconde position le 23 Octobre au soir un terrible bombardement de 210 s’abat sur la batterie. Bilan 2 pièces déplacées 2 abris aux trois quarts démolis. 80 obus sautent un dépôt de 700 kg explose blessant 9 servants et le chef de batterie de la 40ème pièce éventrant la cuisine roulante et le tonneau de vin. Nous avons travaillé une partie de la nuit à réparer les dommages et à remettre les pièces en état de tirer. Le lendemain à 8 h trois pièces tiraient avec un personnel réduit.


Document récapitulatif Affectations inscrites au dos d’un brouillon

Octobre 1914
Observation meule de paille devant Ablain-St-Nazaire
Observation du moulin
Observation de jour, de nuit aux lueurs

1915
Observation d’Ecurie
id Séminaire d’Arras lueurs et nuit*
id 1 ère ligne de Roclincourt
id 2 ème position
id Bois de la Fahe ( = Faye) devant Vimy
1 er décoré de sa batterie en 1915 – Croix St Georges de Russie

1916
Observation des 4 cheminées
Reconnaissance des lignes à la côte du Poivre
Ouvrage de Tavannes
Proposé pour citation refusée par le Commandant jamais venu sur les positions
Observation de la Côte du Poivre id
Fort de Vaux
Cité Octobre 1916 Brigade

1917
Chemin des Dames
Fort de la Malmaison

1918
L’Ailette
Rouv ??? = Roulers ( =Roeselare)
Observation en avant de la Lys
Observation des Américains
Cité Octobre 1918 Corps d’Armée

Guerre 51 mois
1914 – Aout- Sept Epinal = 2 mois
Oct 1914 à Avril 1916 = Artois = 18 mois
Mai 1916 = 1 mois
Juin à Déc 1916 = Verdun = 7 mois
Juin à Mars 1917 = Repos = 3 mois
Avril à Juin 1917 = Chemin des Dames = 3 mois
Juillet à Aout 1917 = Hôpital = 2 mois
Septembre Octobre 1917 = Malmaison = 1 mois
Déc Arras

Type

Manuscrit

Langue

fre

Sujet

Guerre de 1914-1918
Artillerie
Journaux de tranchée

Droits

Domaine public

Source

Localisation de l'ouvrage

Collection particulière - numérisé à la demande (14-18) pour la bibliothèque numérique de l'Université.